MAÎTRISE EN DROIT
Structure du mémoire de maîtrise de type recherche
LA CONSTRUCTION SOCIALE DU CRIME : LE CAS DE LA PROSTITUTION AU CANADA (2016)
Le mémoire de maîtrise pose la question suivante : « comment une infraction du Code criminel se construit-elle socialement au Canada? ». On propose une analyse juridique du droit criminel et pénal en deux parties, à partir d’une posture historique et sociologique, qui interroge à la fois l’avant-plan et l’arrière-plan du mécanisme de criminalisation.
À l’avant-plan du mécanisme de criminalisation, le mémoire de maîtrise examine « l’état du droit de la criminalisation de certaines activités reliées à la prostitution et l’évolution historique de la manière d’approcher ce phénomène par le législateur canadien ».
À l’arrière-plan du mécanisme de criminalisation, le mémoire de maîtrise procède à « une analyse sociologique du processus de criminalisation, à partir d’un point de vue constructionniste de ce phénomène complexe, multidimensionnel, plurifactoriel et ultimement conflictuel, qui implique la participation active de différents acteurs sociaux ». Ces acteurs y sont examinés, tout comme leurs caractéristiques, leurs idéologies et leurs positionnements respectifs face à la criminalisation.
Dans cette dynamique, l’État canadien joue, à plus d’une reprise, le rôle d’arbitre partial, favorisant les valeurs idéologiques des acteurs qui correspondent à celles du parti au pouvoir. Ces valeurs fluctuent à leur tour au rythme des époques, des contextes économiques et géopolitiques.
La dialectique hégélienne de type « thèse antithèse synthèse » ou « problème réaction solution », un outil principal de ces acteurs, y est également analysée. Elle comprend notamment la qualification “en tant que problème social” du comportement qu’on désire criminaliser, la création de paniques morales autour dudit comportement, l’instrumentalisation du langage juridique et la manipulation de la perception du public. Le but recherché est celui d’obtenir un appui populaire, ou du moins l’apparence d’un quelconque appui populaire, à l’égard des solutions idéologiques proposées en réponse au comportement que ces acteurs désirent criminaliser.
Le mémoire met en évidence le caractère universel de certains mécanismes, peu examinés par le domaine du droit criminel et pénal, qui sont pourtant employés par différents acteurs sociaux pour façonner le droit criminel et pénal dans les sociétés occidentales fondées sur le “principe” de “l’État de droit” comme le Canada, afin de transformer la volonté idéologique de certains en loi opposable à tous.
(extraits du mémoire de maîtrise)
En bref : quelques constats du mémoire de maîtrise en langage simple
L’avant-plan du mécanisme de criminalisation :
l’évolution historique législative à l’égard du comportement prohibé
Au Canada, l’appareil étatique, entendu dans un sens large et englobant, est composé par les Parlements, les gouvernements, les juges, les corps policiers, les services de renseignement et les forces armées. Cet agrégé de pouvoir détient un monopole sur l’emploi de la force afin de contrôler le comportement dans la société.
Ces institutions d’État agissent en synergie ou en complémentarité.
Le Parlement fédéral est le décideur sur l’aspect de la qualification légale d’un comportement en tant que crime, tout comme sur les solutions légales à y apporter. À l’avant-plan de la criminalisation se trouve donc un processus positiviste d’adoption des lois, qui est un mécanisme législatif procédural. Les juges y contribuent par leurs jugements portant sur l’interprétation des dispositions législatives ou sur leur constitutionnalité.
Malgré son vaste pouvoir, la légitimité de l’État n’existe que si la collectivité la reconnaît, d’où l’importance pour cet acteur en particulier de s’autolégitimer constamment. En ce sens, les différents acteurs étatiques se valident souvent eux-mêmes entre eux.
Un grand effort de légitimation est aussi déployé par l’État au regard de la codification de dispositions qui interdisent un comportement.
L’État se sert de construits langagiers, de narratifs qui trouvent leurs sources dans la réalité, dans une réalité manufacturée ou dans l’imagination de l’auteur.
Les lois adoptées par l’État en matière de criminalisation ne reflètent pas toujours “la volonté populaire” ou “les valeurs sociétales”, mais reflètent souvent les intérêts idéologiques du parti politique au pouvoir.
À travers les époques, l’approche retenue par le législateur canadien face aux activités reliées à la prostitution a évolué, partant d’une approche concentrée sur l’adoption de dispositions législatives plus générales, larges et englobantes, vers une approche concentrée sur une inflation de dispositions législatives spécifiques, qui couvrent plus de comportements et qui visent des objectifs légèrement différents de ceux qui étaient visés auparavant par le législateur canadien. On cherche à criminaliser le même comportement, mais pour des prétextes différents.
À plus d’une reprise, la volonté de l’État de criminaliser ou de décriminaliser s’est manifestée en faisant preuve d’entêtement et d’acharnement pour promouvoir son agenda législatif. Cette caractéristique a été répertoriée même dans des cas où la population était en désaccord avec son initiative législative.
L’analyse d’avant-plan du processus de criminalisation peut être complétée par l’examination du processus d’arrière-plan, qui est plus large et plus complexe, multidimensionnel, plurifactoriel et ultimement conflictuel, qui implique la participation active de différents acteurs sociaux.
L’arrière-plan du mécanisme de criminalisation :
une construction à dialectique hégélienne formulaïque de type « problème réaction solution »
Au Canada, le privilège de redéfinir juridiquement un comportement comme étant un crime est un acte réservé à un seul acteur social, le Parlement fédéral, mais d’autres acteurs sociaux ont un impact significatif sur cet aspect de qualification, davantage indirect. Par exemple, le gouvernement au pouvoir, en nommant les juges, décide silencieusement et subtilement qui seront les interprètes des lois du Parlement fédéral, qui fera partie de ce petit groupe élitiste qui se prononcera sur les valeurs du parti qui forme le gouvernement qui les a nommés juges, ou sur les valeurs des partis d’opposition.
Plusieurs acteurs sociaux y participent et sont au centre des changements législatifs. La participation de certains varie selon le sujet visé par la volonté de criminalisation, alors que d’autres sont omniprésents : partis politiques, police, médias, organisations professionnelles ou éducationnelles, activistes, groupes religieux, corporations privées, organismes, académiciens, etc.
Leur rôle est d’agiter l’opinion publique lorsque nécessaire et de concentrer l’attention sur un aspect spécifique du contexte entourant le sujet, le but ultime étant l’obtention de l’adhésion sociale requise pour l’adoption de mesures législatives ou la mise en place de programmes sociaux.
L’une des techniques qui est souvent utilisée par les acteurs sociaux intéressés à produire un changement législatif en lien avec un comportement est l’emploi de la dialectique « problème réaction solution » :
Problème : le comportement qu’on désire prohiber est qualifié de problème social important, de situation limite qui nécessite une intervention rapide de la part des autorités.
Réaction : les acteurs sociaux provoquent de l’émoi, suscitent une réaction au sein du public qui demande ensuite aux autorités de prendre des mesures législatives (ex : législation punitive, criminalisation, etc.).
Solution : prétendant parler au nom du public et dans l’intérêt du public, les acteurs sociaux proposent publiquement des solutions idéologiques prédéterminées qui sont en adéquation avec leurs intérêts et demandent aux autorités d’adopter des lois en conséquence.
Étape 1 : les acteurs sociaux qualifient le comportement comme étant problématique socialement
Souligner la gravité du comportement.
Publicisation par les médias.
Organisation de campagnes ou de manifestations collectives au moyen desquelles des réclamations ou des doléances sont formulées.
Souligner l’importance de l’doption de lois criminalisant le comportement visé.
Simplification du débat.
Utilisation d’un langage à terminologie arrimée aux intérêts partisans de l’acteur social, en adéquation avec la position défendue (emploi de la notion de risque, victimisation, promotion de la prise d’action, etc.).
Utilisation d’exemples tangibles et concrets, auxquels le public peut se rattacher. Si l’enjeu n’est plus d’actualité, les acteurs redéfinissent le problème pour attirer à nouveau l’attention du public.
Appel à la logique ou aux émotions.
Manufacturation du consentement.
Utilisation de techniques de manipulation des masses ou de l’ingénierie du consentement (Edward Bernays, Walter Lippmann) faire des associations avec les désirs et les peurs des individus, l’emploi d’”influenceurs“, la promotion du conformisme social, etc.
Le public est libre de faire un choix forcé (dirigé), de choisir parmi des options prédéterminées. La liberté de choix et d’autodétermination du public est significativement limitée par cet encadrement (“the worst form of non-freedom is the non-freedom that is not even perceived as such”).
Étape 2 : créer l’effet d’amplification de la gravité du “problème social” par une panique morale qui stimule la réaction du public
Une fois le comportement qualifié de problématique, les acteurs intéressés cherchent à susciter une réaction chez le public afin que celui-ci demande aux autorités d’intervenir : la création de panique morale.
La panique morale est un outil utilisé par des acteurs sociaux pour convaincre le public qu’un comportement est plus qu’un simple problème social, mais qu’il s’agit d’un problème social important et urgent, qui nécessite une intervention rapide de la part du gouvernement ou du Parlement.
La panique morale présente cinq caractéristiques principales (Erich Goode, Nachman Ben-Jehuda, Stanley Cohen), identifiables souvent avant que le gouvernement dépose un projet de loi important qui criminalise un comportement :
la préoccupation, l’existence d’un niveau élevé d’anxiété.
l’hostilité envers les personnes dont le comportement est considéré comme problématique.
un certain degré de consensus obtenu ou manufacturé.
la disproportion (exagérer la nature du comportement à criminaliser ou ses conséquences).
la volatilité (les paniques morales apparaissent rapidement, comme de nulle part, et disparaissent de la même façon).
D’autres circonstances peuvent caractériser les paniques morales, selon le degré d’intensité ou de grandiloquence qui leur est attribué.
À la suite de ce processus, la perception au regard du besoin de criminaliser un certain comportement risque d’être significativement altérée par différents messages utilisés par les acteurs sociaux pour promouvoir leur position.
Des membres du public internalisent ces messages comme s’il s’agissait de leur réalité objective et non pas d’une construction des acteurs sociaux.
On instrumentalise également l’influence considérable des pairs, la conformité sociale ou l’illusion des sens afin d’instituer de la panique sociale jusqu’à ce qu’on amène l’individu à un point où il est ouvert aux suggestions.
Durant ce moment de vulnérabilité, le message des acteurs sociaux passe plus facilement et on amène le public à la prochaine étape : recevoir la proposition de solutions, que le public peut maintenant accepter.
Étape 3 : les acteurs sociaux proposent leurs solutions
Une fois le terrain fertile à la proposition de solutions, les acteurs sociaux sortent l’artillerie lourde :
l’appel à l’autorité, à l’opinion des experts ou des technocrates pour légitimer leurs solutions (certains peuvent être élus, d’autres payés, financés, nommés, recrutés ou auto-proclamés).
le recours stratégique à l'autolégitimation ou à l’interlégitimation des acteurs étatiques entre eux s’active et s’intensifie.
le marketing, les relations publiques.
la discréditation des adversaires et des positions contraires.
la censure.
Pour légitimer son action de criminaliser un comportement, l’État se sert de ces mêmes mécanismes.
Quelques commentaires des professeurs qui ont examiné le mémoire de maîtrise de type recherche
Marie-Pierre Robert
est professeure de droit pénal à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke depuis 2007 et doyenne de la Faculté de droit depuis 2024.
Vice-doyenne à l'enseignement de 2015 à 2019, elle est cofondatrice et codirectrice du programme de Maîtrise en pratique du droit criminel et pénal, et membre du Centre de recherche Société, Droit et Religions de l'Université de Sherbrooke (SoDRUS).
« Ce mémoire offre un regard multidisciplinaire sur la construction du crime au Canada en prenant l’exemple de la prostitution ».
« Alliant histoire et sociologie, il éclaire les nombreuses modifications législatives relatives aux infractions reliées à la prostitution ».
Maître Popa « utilise le constructionnisme social comme cadre théorique, ce qui est pertinent et ambitieux ».
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« Il a l’avantage – et l’ambition – d’inscrire les développements juridiques récents dans un contexte plus large, à la fois historique et sociologique, ce qui ajoute un défi qu’a relevé » maître Popa.
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
Maître Popa « fait bien ressortir le contexte social et historique dans lequel les différentes infractions relatives à la prostitution ont été adoptées – de la confédération à l’arrêt Bedford, en passant par le rapport Fraser et le Renvoi sur la prostitution -, ainsi que l’importance et l’influence de ce contexte sur l’évolution du droit »
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« Alors que la première partie est construite à partir d’une méthodologie plus classique, décrivant l’évolution du droit positif en se basant sur les développements législatifs, jurisprudentiels et doctrinaux, la seconde partie s’appuie largement sur la doctrine sociologique et sur les actions des acteurs sociaux impliqués dans la criminalisation des activités reliées à la prostitution ».
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« Le mémoire s’appuie sur une bibliographie étendue, une belle variété de sources, qui sont bien utilisées ».
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« Il est bien structuré, selon un ordre logique »
Simon Roy
est professeur de droit pénal à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke depuis 2003.
Vice-doyen à l'enseignement de 2022 à 2023, il est directeur des programmes de 1er cycle et de 2e cycle volet cours, directeur du programme de Maîtrise en pratique du droit criminel et pénal et responsable du Diplôme de lutte contre la criminalité financière, pour la Faculté de droit.
Le professeur Roy est membre-chercheur de la Chaire de recherche CIBC et intégrité financière (axe légal).
« La somme d’information traitée est considérable et l’auteur fait la preuve de l’ampleur extraordinaire de sa recherche ».
« Bref, il s’agit d’un travail remarquable au niveau quantitatif ».
« C’est un mémoire très ambitieux »
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
Maître Popa « a choisi une posture théorique plutôt inusitée pour un mémoire en droit. Par ailleurs, cela lui a permis de soulever des questions intéressantes quant aux causes sous-jacentes des décisions du législateur et au rôle des groupes d’influence ».
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« La première [partie] constitue une belle recension historique »
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« À l’évidence, l’auteur a fait un travail de recherche colossal »
Véronique Fortin
est professeure de droit pénal à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke depuis 2015 et avocate, membre du Barreau du Québec.
Vice-doyenne à l'apprentissage expérientiel et aux relations avec la collectivité depuis 2024.
« L’auteur a énormément lu et dans plusieurs disciplines ».
« Sa curiosité intellectuelle est impressionnante! Les sources qu’il cite sont intéressantes ».
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« Le mémoire est bien écrit et sa présentation est soignée »
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« La partie 1 est descriptive, mais bien construite et intéressante »
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« l’effort est remarquable »
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :
« On sent que l’auteur a baigné dans une littérature complexe et qu’il a voulu faire une contribution originale »
Rapport d’évaluation du mémoire de maîtrise, 2016 :