Projet de loi C-2 (2025) : Le gouvernement de Mark Carney, banquier de carrière, dirige-t-il le Canada vers l’interdiction d’utiliser le cash?

Claudiu Popa

12 juin 2025

Projet de loi C-2 (2025) : L’article 77.5, un autre article de loi controversé

Le 3 juin 2025, le gouvernement canadien dirigé par le Premier ministre Mark Carney a déposé le projet de loi C-2, la « Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière »[1].

Malgré l’intitulé à effet trompeur sur son contenu, cette loi « fourre-tout » cherche notamment à interdire aux citoyens canadiens et à des entités canadiennes d’accepter les paiements ou les dons de 10 000 $ ou plus en espèces :

Infraction : paiements, dons ou dépôts en espèces de 10 000 $ ou plus

77.5 (1) Commet une infraction toute personne ou entité qui se livre à l’exploitation d’une entreprise ou à l’exercice d’une profession ou qui sollicite des dons de bienfaisance en argent du public et qui, dans le cadre d’une même opération ou d’une série d’opérations liées réglementaire, accepte un paiement, don ou dépôt en espèces de 10 000 $ ou plus.

 

À la Chambre des communes du Canada, les partis politiques d’opposition (Parti conservateur à 144 députés, Bloc Québécois à 22 députés, Nouveau Parti démocratique à 7 députés et le Parti vert à 1 député) n’ont pas fait de « travail d’opposition » et critiquer cet article de loi.

L’infraction créée contre les paiements en espèces n’a pas fait l’objet de débats contradictoires, ni durant la première lecture du projet de loi du 3 juin 2025[2], ni lors de la deuxième lecture du 5 juin 2025[3]. Au contraire, elle a insouciamment passé la première lecture (la deuxième lecture étant toujours en cours), même si le gouvernement de Mark Carney est minoritaire (169 députés libéraux sur le total de 343) et qu’il serait facile de la bloquer.

Manifestement, l’article dépasse largement l’objectif de « la sécurité des frontières » et ne vise pas non plus uniquement les « criminels ».

Dans sa version actuelle, l’infraction vise tout le monde : les entrepreneurs canadiens, les compagnies canadiennes, les commerces canadiens, les avocats, les médecins et d’autres professionnels canadiens, les artistes canadiens, les plombiers canadiens, etc. On vise même les organismes de charité canadiens.

En réalité, cet article de loi contribue à faire disparaître progressivement le droit à l’anonymat et à limiter considérablement la liberté que l’argent comptant offre aux canadiens.

En même temps, le gouvernement canadien du banquier Mark Carney veut contraindre progressivement les canadiens à transiger par le biais des banques et non pas entre eux directement, en y interposant obligatoirement une tierce partie.

 

Argent numérique et identité numérique

Cette démarche législative s’inscrit dans la vision personnelle du Premier ministre canadien actuel et dans la vision des banquiers centraux à travers le monde d’implanter une monnaie numérique de banque centrale (MNBC, de l’anglais Central bank digital currency, CBDC).

Source : Centre d’innovation de la Banque des règlements internationaux (2021).

Mark Carney est un fervent promoteur de ce type de monnaie numérique.

En 2021, celui-ci a déclaré publiquement qu’il envisage un monde où « la monnaie numérique de banque centrale est au cœur »[4] de l’économie, auquel s’ajoute la « combinaison des MNBC basées sur des comptes et les identités numériques »[5].

Son discours a été publié par la Banque des règlements internationaux[6] (Bank of International Settlements, BIS), qui s’autodéfinit comme étant la « banque des banques centrales »[7].

En août 2019, alors qu’il était le gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre (2013-2020)[8], Mark Carney a tenu un autre discours sur les défis de la politique monétaire où celui-ci expliquait comment le système monétaire mondial basé sur le dollar est intenable et qu’il devra être remplacé par un nouveau système[9].

Lorsqu’il a été interrogé le 4 septembre 2019 par le Comité du Trésor de la Chambre des communes du Royaume-Uni à savoir s’il était « possible d’éviter un changement fondamental à long terme du système monétaire »[10], le gouverneur Carney a répondu :

« Il y aura un changement, mesuré sur plusieurs décennies. Il est très difficile de le prédire. […] mais ces failles structurelles dans le système aboutiront, en fin de compte, à un changement. »[11]

 

La Banque du Canada, dont le Premier ministre Carney a été le gouverneur pendant 7 ans[12], prépare depuis quelques années déjà le terrain pour l’introduction de la monnaie numérique canadienne : le « dollar canadien numérique »[13].

Cette monnaie numérique est une « représentation virtuelle » de l’argent comptant, « sans quelques-unes de ses caractéristiques, notamment l’anonymat »[14].

Agustín Carstens, le directeur général de la Banque des règlements internationaux[15] (une connaissance de M. Carney, ce dernier ayant présidé le Comité de Bâle sur le système financier mondial de la Banque des règlements internationaux à partir de 2010, pour un mandat de 3 ans[16], ainsi que le Conseil de stabilité financière pendant 7 ans entre 2011 et 2018[17] qui est hébergé et financé principalement par la Banque des règlements internationaux), décrit l’objectif de la monnaie numérique :

[…] la MNBC, en particulier pour l'usage général, vise à établir l'équivalence avec l'argent liquide et il y a là une énorme différence. Par exemple, en ce qui concerne les espèces, nous ne savons pas, par exemple, qui utilise un billet de 100$ aujourd'hui, ni qui utilise un billet de 1000 pesos aujourd'hui. La différence essentielle de la monnaie numérique de banque centrale (MNBC) est que la banque centrale exercera un contrôle absolu sur les règles et réglementations qui détermineront l'utilisation de cette [monnaie numérique] de la banque centrale et qu'elle disposera également de la technologie nécessaire pour forcer le respect de ces règles. Ces deux questions sont extrêmement importantes et cela fait une énorme différence par rapport à ce qu'est l'argent liquide[18].

Bref, une monnaie numérique à potentiel programmable (ex : possibilité de fixer une période d’utilisation prédéterminée ou une date de péremption de la monnaie, déterminer quoi acheter, quand acheter, quelle quantité acheter, etc.), qui permet de suivre à la trace chaque transaction de chaque canadien et dont l’utilisation peut être contrôlée non pas par l’individu mais par la banque centrale ou par l’État (dépendamment des provisions législatives à venir).

Alors, entre temps, pourquoi ne pas trouver toutes sortes de prétextes pour rendre l’utilisation du cash la plus onéreuse possible?

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La suite de la série L’argent numérique c. L’argent comptant abordera le fait qu’une somme d’argent comptant de 2000$ ou plus est présumée être le produit d’activités illégales : https://www.claudiu-popa.com/argent-numerique-c-argent-comptant/argent-comptant-presume-provenir-d-activites-illegales-simon-jolin-barrette.

TABLE DES MATIÈRES DE CETTE SÉRIE

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[1] Loi concernant certaines mesures liées à la sécurité de la frontière entre le Canada et les États-Unis et d'autres mesures connexes liées à la sécurité, projet de loi C-2, 45e légis., 1ère sess., 2025, en ligne : ‹https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/45-1/projet-loi/C-2/premiere-lecture›.

[2] Id., 1ère lecture, 3 juin 2025, en ligne : ‹https://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/45-1/chambre/seance-7/debats›.

[3] Id., 2e lecture, 5 juin 2025, en ligne : ‹https://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/45-1/chambre/seance-9/debats›.

[4] Marc CARNEY, « The Art of Central Banking in a Centrifugal World », Bis.org, 28 juin 2021, en ligne : ‹https://www.bis.org/events/acrockett_2021_speech.pdf›.

[5] Id.

[6] Id.

[7] BANQUE DES RÈGLEMENTS INTERNATIONAUX, « La BRI : mission, activités, guvernance et résultats », 85 Rapport annuel BRI, 2015, p. 157, en ligne : ‹https://www.bis.org/publ/arpdf/ar2015_7_fr.pdf›.

[8] BANK OF ENGLAND, « Mark Carney », Bankofengland.co.uk, 2025, en ligne : ‹https://www.bankofengland.co.uk/about/people/past/mark-carney/biography›.

[9] Mark CARNEY, « The growing challenges for monetary policy in the current international monetary and financial system », Bankofengland.co.uk, 23 août 2019, en ligne : ‹https://www.bankofengland.co.uk/speech/2019/mark-carney-speech-at-jackson-hole-economic-symposium-wyoming›.

[10] TREASURY COMMITTEE. HOUSE OF COMMONS, « Oral evidence : Bank of England Inflation Reports, HC 596; UK’s economic relationship with the European Union, HC 473 », Committees.parliament.uk, 4 septembre 2019, en ligne : ‹https://committees.parliament.uk/oralevidence/9616/html/›.

[11] Id.

[12] BANQUE DU CANADA, « Mark Carney », Banqueducanada.ca, en ligne : ‹https://www.banqueducanada.ca/profile/carney-mark/›.

[13] BANQUE DU CANADA, « Le “dollar canadien numérique” », Banqueducanada.ca, en ligne : ‹https://www.banqueducanada.ca/dollarnumerique/›.

[14] Clémence MAQUET, « MNBC : tout comprendre de la monnaie numérique de demain », Siecledigital.fr, 2 novembre 2020, en ligne : ‹https://siecledigital.fr/2020/11/02/mnbc-tout-savoir-monnaie-numerique/›.

[15] BANQUE DES RÈGLEMENTS INTERNTIONAUX, « Agustin Carstens – General Manager », Bis.org, en ligne : ‹https://www.bis.org/about/bioac.htm›.

[16] BANQUE DU CANADA, « Mark Carney », préc., note 12.

[17] FINANCIAL STABILITY BOARD, « History of the FSB », Fsb.org, 22 mai 2025, en ligne : ‹https://www.fsb.org/about/history-of-the-fsb/›.

[18] Agustin CARSTENS, « Cross-Border Payments – A Vision for the Future », IMF, 19 octobre 2020, en ligne : ‹https://www.youtube.com/watch?v=mVmKN4DSu3g›.

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Avoir une somme d’argent comptant de 2000$ ou plus, présumé être le produit d’activités illégales selon une loi adoptée au Québec. Son auteur est Simon Jolin-Barrette (Projet de loi 54, 2024)