Décoder l'infraction de fraude

Claudiu Popa

 

Qu’est-ce que la fraude?

La fraude est une infraction criminelle prévue par le Code criminel canadien, qui a une portée large et qui inclut

« toutes ces fausses déclarations, demi-vérités, omissions, voire simples cachotteries, calculées et volontaires, tous ces mensonges et faux-semblants directs ou indirects, moyens déloyaux ou frauduleux délibérément utilisés par leur auteur à son profit ou au profit de tiers, qui ne peuvent pas être entièrement caractérisés comme un faux-semblant, mais qui créent un état d'esprit incitant une personne à suivre une ligne de conduite à son détriment et préjudice, causant la perte d’un bien ou d’une valeur, ligne de conduite que cette personne n'aurait pas suivie si les moyens frauduleux et trompeurs utilisés avaient été connus » (R. v. Littler, (1972) 13 C.C.C. (2d) 530).

Prévu à l’article 380(1) Code criminel, le texte de l’infraction de fraude se lit comme suit : 

Article 380 (1) C.cr. : Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

a) est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars;

b) est coupable :

(i) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans,

(ii) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

si la valeur de l’objet de l’infraction ne dépasse pas cinq mille dollars.

Peine minimale

(1.1) Le tribunal qui détermine la peine à infliger à une personne qui, après avoir été poursuivie par acte d’accusation, est déclarée coupable d’une ou de plusieurs infractions prévues au paragraphe (1) est tenu de lui infliger une peine minimale d’emprisonnement de deux ans si la valeur totale de l’objet des infractions en cause dépasse un million de dollars.


Actus reus de la fraude

La fraude n’est pas définie par le Code criminel canadien, mais les tribunaux l’ont décrit comme étant une privation malhonnête :

« Les tribunaux ont de bonnes raisons d’hésiter à définir de façon exhaustive le mot ”frauder” (frustrer), mais on peut sans crainte dire que deux éléments sont essentiels: la “malhonnêteté” et la “privation” » (R. c. Olan, [1978] 2 R.C.S. 1175).


L'actus reus de la fraude requiert donc deux éléments : un acte malhonnête et une privation causée par l'acte malhonnête. 

  • un lien doit exister entre l’acte malhonnête et la privation (Detering c. R., [1982] 2 R.C.S. 583) ou le risque de privation;

  • « il n’est pas toujours nécessaire, pour prouver la fraude, de démontrer que la présumée victime s’est fondée sur la conduite frauduleuse ou qu’elle a été incitée en raison de celle‑ci à agir à son détriment. Il faut, dans tous les cas, démontrer l’existence d’un lien de causalité suffisant entre l’acte frauduleux et le risque de privation de la victime. Dans certains cas, ce lien de causalité peut être établi en démontrant que la victime de la fraude a agi à son détriment parce qu’elle s’est fiée au comportement frauduleux de l’accusé ou que ce comportement l’a incitée à agir. Mais ce n’est pas la seule façon d’établir le lien de causalité » (R. c. Riesberry, 2015 CSC 65, par. 22);

  • il n’est pas non plus nécessaire de viser une victime; la victime peut ne pas être certaine (R. c. Riesberry, 2015 CSC 65, par. 26) et déterminée (Vézina c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 2).


L’acte malhonnête

Aux termes de l’article 380 Code criminel, l’acte malhonnête est constitué d’une supercherie, d'un mensonge ou d'un autre moyen dolosif.

Si la fraude est constituée d’une supercherie ou d’un mensonge, la poursuite doit faire la preuve d’un certain lien entre l’accusé et la victime, lien qui n’est pas nécessaire lorsque la fraude est constituée d’un autre moyen dolosif (Rachel Grondin, « Opérations frauduleuses »).

La malhonnêteté s’apprécie objectivement, selon le standard de la personne honnête et raisonnable. Le juge qui réfère les jurés à leur propre conception de la malhonnêteté commet une erreur (R. c. Laroche, 2011 QCCA 1891).


La fraude par supercherie

  • se servir de stratagèmes dolosifs ou de ruses;

  • définition du mot « supercherie »

    • selon le dictionnaire de l’Académie française : « tromperie où il entre de la ruse, du calcul ; acte qui vise à duper autrui »

    • en anglais, le terme « deceit » (« tromper ») est défini comme étant l'acte ou la pratique de « tromper – mentir, induire en erreur, ou autrement dissimuler ou déformer la vérité ». « La tromperie ne se limite pas au mensonge. Elle peut consister à déformer ou à omettre la vérité, ou encore à recourir à des dissimulations plus complexes ».

  • la supercherie est déterminée en fonction des faits objectifs (R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5);

  • l’accusé fait croire à une personne quelque chose qu’il sait être faux (R. c. Leuenberger, 2014 BCCA 156);

  • c’est le fait d’amener une personne à croire vraie une chose fausse alors que l’auteur de la supercherie lui-même croit ou sait que la chose est fausse (R. c. Littler (1972), 13 C.C.C. (2d) 530 (C.S.P. Qué.));

    • livrer à un client un certificat d’authenticité des tableaux alors qu’on sait qu’il n’y a aucune raison de croire les tableaux authentiques et plutôt des raisons de croire le contraire, vu la clandestinité dans laquelle les tableaux ont été acquis (R. c. Tremblay, [1996] A.Q. no 1086 (C.A.));

  • dans le cas d’une fraude par supercherie, « il suffit de déterminer si l’accusé a effectivement déclaré qu’une situation était d’une certaine nature alors qu’en réalité elle ne l’était pas » (R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, par. 18);


La fraude par mensonge

  • faire des fausses déclarations;

  • définition du mot « mensonge »

    • selon le dictionnaire Larousse : « assertion contraire à la vérité »;

    • selon le dictionnaire de l’Académie française : « propos contraire à la vérité, tenu avec dessein de tromper »;

  • définition du verbe « mentir »

    • selon le dictionnaire Larousse : « dissimuler, déguiser volontairement la vérité, nier ou taire ce qu'on devrait dire »; « tromper quelqu'un en lui déguisant la vérité, en lui disant un mensonge »;

    • selon le dictionnaire de l’Académie française  : « donner pour vrai, affirmer ce qu’on sait être faux »;

  • le mensonge est déterminé en fonction des faits objectifs (R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5);

  • il s’agit d’un mensonge intentionnel (R. c. Leuenberger, 2014 BCCA 156);

  • peut consister en un acte positif ou en une simple omission (par son silence, l’individu cache à l’autre un élément essentiel; il n’est pas nécessaire que le silence ou l’omission induisent la personne raisonnable en erreur, R. c. Émond (1997), 117 C.C.C. (3d) 275);

  • dans le cas d’une fraude par mensonge, « il suffit de déterminer si l’accusé a effectivement déclaré qu’une situation était d’une certaine nature alors qu’en réalité elle ne l’était pas » (R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, par. 18);

  • exemple : se faire faussement passer pour un avocat afin que la victime lui remette une somme d’argent (R. c. Guillaume, [1997] A.Q. no 1174 (C.A.)).


La fraude par autre moyen dolosif

  • la fraude « par autre moyen dolosif » est plus englobante que la fraude « par supercherie » et « par mensonge », et couvre « les moyens qui ne sont ni des mensonges ni des supercheries; ils comprennent tous les autres moyens qu’on peut proprement qualifier de malhonnêtes » (R. c. Olan, [1978] 2 R.C.S. 1175);

    • « la dissimulation de faits importants » constitue un autre moyen dolosif (R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371);

    • La définition des termes « faux-semblant » ou de « faux prétexte » contenue à l’article 361 C.cr. aux fins de l’application de l’infraction d’escroquerie prévue à l’article 362 C.cr. illustre utilement la notion de dissimulation de faits, et ce, même s’il s’agit d’une infraction distincte, mais similaire à celle de la fraude : « représentation d’un fait présent ou passé, par des mots ou autrement, que celui qui la fait sait être fausse, et qui est faite avec l’intention frauduleuse d’induire la personne à qui on l’adresse à agir d’après cette représentation » (Landry c. R., 2022 QCCA 1186, par. 115);

  • il faut avoir une preuve d’un comportement malhonnête (R. c. Lyer, 2020 ABCA 439);

    • moyen malhonnête : l’emploi illégitime d’une chose sur laquelle une personne a un droit, de sorte que ce droit se trouve éteint ou compromis (R. c. Zlatic, [1993] 2 R.C.S. 29);

  • la fraude par un autre moyen dolosif est déterminée objectivement, selon ce qu'une personne raisonnable considérerait comme un acte malhonnête (R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5);

  • il n’est pas nécessaire que l’accusé considère personnellement que les moyens employés étaient honnêtes (R. c. Leuenberger, 2014 BCCA 156);

  • la fraude par autre moyen dolosif peut consister à priver « malhonnêtement une personne de quelque chose qui lui appartient ou de quelque chose à laquelle elle a, aurait ou pourrait avoir droit, n’eût été la perpétration de la fraude » « il n’est pas nécessaire qu’il y ait des déclarations mensongères comme c’est le cas pour le dol au civil » (R. c. Riesberry, 2015 CSC 65, par. 23);

  • dans le cas d’une fraude par autre moyen dolosif, « la démonstration de l’existence du lien de causalité entre le comportement malhonnête et la privation ne dépend pas nécessairement de la preuve que la victime s’est fondée sur l’acte frauduleux ou que cet acte frauduleux l’a incitée à agir » (R. c. Riesberry, 2015 CSC 65, par. 24);

  • la simple réticence peut constituer un autre moyen dolosif (R. c. Champagne, [1987] A.Q. no 1856).


Exemples de moyens dolosifs

  • administrer des drogues à des chevaux de course (pour impacter leur performance) (R. c. Riesberry, 2015 CSC 65);

  • le défaut de divulguer des faits importants (R. v. Zlatic, [1993] 2 S.C.R. 29, 44);

  • cacher des informations essentiels (R. c. Gour, 2014 ONCA 51 : instruire les employés qui sollicitaient des dons de déclarer qu’ils étaient des bénévoles alors qu’ils étaient rémunérés; cacher le fait que les profits provenant des dons étaient destinés seulement en partie aux objectifs des dons);

  • cacher ou taire les véritables intentions de son auteur (R. c. Émond (1997), 117 C.C.C. (3d) 275);

  • utiliser des fonds de façon non autorisée (R. c. Leuenberger, 2014 BCCA 156);

  • utiliser les biens d’une compagnie à des fins personnelles plutôt qu’à l’avantage de celle-ci (R. c. Olan, [1978] 2 R.C.S. 1175);

  • exploiter les faiblesses ou les vulnérabilités d’autrui (R. c. Lauer, 2011 PECA 5);

  • détourner ou usurper des fonds sans autorisation (R. c. Lauer, 2011 PECA 5);

  • utiliser subrepticement des moyens électroniques lorsqu’on joue à un jeu de roulette électronique dans un casino alors que les règles applicables aux usagers du casino interdisent le recours à de tels procédés (R. c. Wu, 2021 QCCA 1009);

  • aider des clients à tricher au test de connaissances qu’ils devaient passer pour obtenir leur permis d’apprenti conducteur. La conduite malhonnête de l’accusé à incité la société d’assurance automobile à délivrer des permis d’apprenti conducteur à des personnes qui n’y avaient pas droit. Les actes malhonnêtes avaient pour but de permettre à des personnes qui n’auraient pas autrement été autorisées à conduire ou qualifiées pour conduire de le faire malgré tout (R. c. Jamo, 2022 BCCA 73);

  • détourner l’argent de la victime à des fins personnelles après lui avoir faussement représenté que son argent serait investi (R. c. Vaillancourt, 2015 QCCA 2057);

  • détourner volontairement un processus d’appel d’offres pour l’octroi de contrats publics, par la collusion entre différentes personnes alors que la loi prévoit l'utilisation de ce processus et que cela compromet le droit de tiers (R. c. Michaud, 2015 QCCQ 7768).


La privation causée par l'acte malhonnête

La privation causée par l'acte prohibé peut consister

  • en une perte véritable de la victime

    ou

  • dans le fait de mettre en péril les intérêts pécuniaires de la victime.

Une personne peut être fraudée « en étant privée d’une chose et elle peut être privée d’une chose soit en étant frauduleusement incitée à s'en séparer, soit en ayant frauduleusement détourné ou retenu ce à quoi elle a droit » (R. v. Renard, (1974) 17 C.C.C. (2d) 355 (Ont. C.A.), 358).

Selon la Cour suprême du Canada, il est possible d’établir la privation si la poursuite prouve

La privation peut être exprimée de trois façons (R. c. Leuenberger, 2014 BCCA 156) :

  • en raison de l’acte prohibé, il y a eu une privation des intérêts économiques de la victime;

  • la conséquence prohibée de l’acte malhonnête a été de priver une autre personne de ce qui lui appartient ou de ce qui aurait dû lui appartenir, ce qui peut être le simple fait de mettre en péril le bien d’autrui, ou

  • il y a possibilité d’une perte réelle ou que les intérêts financiers de la victime soient mis en péril en raison de l’acte malhonnête.

L’élément de privation prouvé peut être très différent de la transaction précisée dans la dénonciation (R. c. Jamo, 2022 BCCA 73).

Il peut y avoir fraude lorsqu’à la suite d’un acte malhonnête la victime se départit d’une chose ou qu’elle subit tout autre préjudice pécuniaire, sans nécessairement se départir de cette chose (Rachel Grondin, « Opérations frauduleuses »).

Il peut y avoir fraude même si la victime « profite de l’affaire et que l’accusé y perde en fin de compte » (Rachel Grondin, « Opérations frauduleuses »).

Il y a fraude lorsque l’accusé veut se procurer un avantage au détriment de sa victime. L’accusé peut être condamné 

« s’il est établi que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un préjudice ou qu’il y avait risque de préjudice à la suite de son comportement, même s’il est prouvé que l’accusé avait l’intention de rembourser la victime plus tard » (Rachel Grondin, « Opérations frauduleuses »).

De plus, une personne peut être privée d’une chose même si elle n’est pas le propriétaire légal de la chose dont elle a été privée, mais qu’elle possède un droit légal ou un intérêt légal sur cette chose (R. v. Renard, (1974) 17 C.C.C. (2d) 355 (Ont. C.A.), 358), comme un bien loué ou un bien sur lequel la personne a un droit d’usufruit. Le terme « bien » utilisé dans le texte de l’article 380 Code criminel ne réfère pas à un droit de propriété, mais il renvoie plutôt à la chose ou au bien qui est transféré (R. c. Singer, 2015 ONCA 415).

  • Exemple : tenter de louer une automobile à l’aide d’une carte de crédit volée et d’un permis de conduire volé (R. c. Vallillee (1974), 24 C.R.N.S. 319);

Les éléments de la fraude sont réunis lorsqu’il y a interception par un tiers de sommes appartenant à une personne ou lorsqu’un tiers est mis en situation de remettre à l’accusé ou de laisser ce dernier prendre l’argent que la personne fraudée aurait autrement détenu (R. c. Kribbs, [1968] 1 C.C.C. 345).

La Cour suprême du Canada a déterminé qu’une course truquée constitue une fraude puisqu’elle crée un risque de préjudice pour les intérêts économiques des parieurs (R. c. Riesberry, 2015 CSC 65, par. 26).

Ce même raisonnement s’applique à un processus d’embauche truqué par l’employeur pour favoriser un candidat au détriment d’un autre.

La perpétration d’une fraude « se continue tant que des actes malhonnêtes sont posés pour causer, aggraver ou perpétuer le préjudice ou le risque de préjudice subi par les investisseurs. Une fraude se poursuit tant que des actes malhonnêtes sont posés pour maintenir la victime dans l’ignorance du préjudice financier qu’elle subit ou risque de subir » (R. c. N’Drin Beugré, 2014 QCCA 2002).

La personne qui aide l’auteur principal « après avoir appris l’existence des retraits frauduleux engage sa responsabilité criminelle à l’égard des infractions en cours même s’il n’était pas partie à celles-ci lorsque l’auteur principal a commencé à les commettre » (R. c. N’Drin Beugré, 2014 QCCA 2002).

La perte d’un droit contractuel de recouvrer une commission secrète est une privation suffisante pour établir l’infraction de fraude (Germany (Federal Republic) c. Schreiber (2006), 206 C.C.C. (3d) 339 (C.A. Ont.)).

Le fait qu’il y ait un élément de discrétion dans le processus d’approbation des prêts hypothécaires n’exclut pas la notion de confiance. La poursuite n’a pas à prouver que le prêt hypothécaire a été approuvé uniquement sur la foi des déclarations frauduleuses (R. c. Park (2010), 259 C.C.C. (3d) 50 (C.A. Alta.)).

Il n’est pas nécessaire que l’accusé soit la seule cause de cette privation afin de satisfaire aux exigences de l’actus reus de l’infraction de fraude. La conduite de l’accusé doit avoir contribué à la privation de façon plus que mineure (R. c. Park (2010), 259 C.C.C. (3d) 50 (C.A. Alta.)).

Mens rea de la fraude

La mens rea de la fraude est établie

  • par la preuve de la connaissance subjective de l'acte prohibé (R. c. Bernston, 2001 CSC 9;);

    • être conscient de la nature de l’acte prohibé;

    • pour établir la mens rea, il suffit que « l'accusé connaisse les faits qui constituent objectivement un acte prohibé » (R. v. Kingsbury, 2012 BCCA 462, par. 47);

    • l’intention subjective de tromper n’est pas un élément essentiel pour l’infraction de fraude (R. c. Eizenga, 2011 ONCA 113);

    • fait preuve d’aveuglement volontaire l’accusé qui a utilisé des fonds alors qu’il savait que ceux-ci ne lui appartenaient pas (R. c. Bondok, 2011 ONCA 698);

    • l’intention de frauder est établie lorsqu’il est prouvé que l’accusé a poussé une personne à agir en amenant cette personne à croire en un état de fait qui est faux (R. c. McGarey, [1974] R.C.S. 278);

    • « l’exigence de connaissance que l’on trouve dans l’élément de mens rea pour la fraude consiste en la preuve que l’accusé a sciemment accompli l’acte frauduleux et non la preuve que l’accusé savait que l’acte frauduleux était malhonnête » (Saitanis c. R., 2023 QCCA 1271, par. 31);

    • « la conviction de l'accusé que sa conduite n'est pas mauvaise ou que personne ne sera lésé en fin de compte ne constitue pas un moyen de défense opposable à une accusation de fraude » (R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5);

    • « une croyance sincère que sa conduite n'est pas malhonnête est sans pertinence. Une croyance sincère que sa conduite n'est pas mauvaise ou un espoir ou une attente qu'aucune privation ne se produira est également sans pertinence » (R. v. Kingsbury, 2012 BCCA 462, par. 46).


    et


  • par la preuve de la connaissance subjective que l'accomplissement de l'acte prohibé pourrait causer une privation à autrui (R. c. Bernston, 2001 CSC 9);

    • il suffit de démontrer la connaissance de la « simple possibilité » de préjudice et non celle de la « probabilité » de préjudice (Charrière c. R., 2021 QCCA 1338, par. 133 et ss.);

    • la privation peut consister en la connaissance que les intérêts pécuniaires de la victime sont mis en péril (R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5);

    • « Même si une personne se croit justifiée d’agir ou croit sincèrement que le destinataire de ses actes frauduleux ne subira aucun préjudice, elle commet malgré tout une fraude si elle est consciente de la fausseté de ses affirmations et de la possibilité du risque de préjudice pour la victime » (Annie-Claude Bergeron et Catherine Dumais, « Les infractions criminelles »; R. c. Bernston, 2001 CSC 9Dumont c. La Reine, 2001 CanLII 10280 (QC CA));

    • « bien qu'un accusé doive soit le désirer, soit le prévoir comme une conséquence de sa conduite, et bien que cela doive être évalué subjectivement, l'opinion ou la croyance de l'accusé selon laquelle les conséquences ne constituent pas une privation ou un préjudice n'est pas pertinente. Ce qu'un accusé doit désirer ou prévoir, c'est le fait ou l'ensemble de faits qui constituent ce qui est caractérisé comme une privation. Il n'est pas nécessaire qu'un accusé comprenne que les faits désirés ou prévus constitueront une privation en droit. Par conséquent, tout comme l'intention portant sur les circonstances de malhonnêteté, tant qu'il y a connaissance des faits qui constituent les éléments requis de l'actus reus, l'opinion de l'accusé basée sur une évaluation de ces faits n'est pas une considération pertinente pour établir l'intention. […] Par conséquent, l'intention frauduleuse portant sur l'élément de conséquence de l'actus reus de l'infraction peut être définie comme étant le désir ou la prévoyance quant aux faits constatés en droit pour constituer une privation, un “dommage”, un “préjudice” ou un “risque de préjudice” pour les intérêts pécuniaires de la victime » (R. v. Kingsbury, 2012 BCCA 462, par. 48, citant le professeur Nightingale dans The Law of Fraud and Related Offences, Scarborough, Carswell, 1996, c. 10 à 14).

Si l’accusé prive sciemment et intentionnellement autrui, il ne peut échapper à une condamnation parce qu’il pense que frauder est bien (R. c. Lacombe (1991), 60 C.C.C. (3d) 489 (C.A. Qué.)).

Dans certains cas, la connaissance subjective du risque de privation peut être déduite de l'acte lui‑même.

  • La simple déclaration inexacte faite par négligence ou la pratique commerciale déloyale n’est pas suffisante pour conclure à la culpabilité de l’accusé pour l’infraction de fraude (R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5);

  • L’intention peut s’inférer des gestes commis par l’accusé dans le cadre de l’octroi des contrats signés pour lesquels aucun travail n’avait été effectué (R. c. Guité, 2008 QCCA 1433).

Des éléments à prouver

  • l’identité de l'accusé;

  • le moment de l’infraction (date et heure);

  • le lieux où l’infraction a été commise (juridiction, région, province, pays);

  • l’accusé a privé la victime d’une chose ou la victime a été exposée au risque de perdre une chose (bien, argent, titre de valeur ou service);

  • la valeur du bien et le droit de propriété de la chose (ou un droit légal sur la chose) (article 657.1 Code criminel);

  • la privation a été causée par

    • tromperie;

    • mensonge;

      ou

    • tout autre moyen frauduleux;

  • l’accusé avait une connaissance subjective

    • de l'acte interdit qui a causé la privation;

      ou

    • que la conduite entraînerait probablement une privation.

Compétence des tribunaux

La compétence des tribunaux dépend de la valeur de l’objet en cause.

Si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse $5.000 (art. 380(1) a) Code criminel) :

  • l’accusé peut choisir, selon l’article 536(2) Code criminel, d’être jugé

    • par un juge de la cour provinciale sans jury et sans enquête préliminaire;

      ou

    • par un juge sans jury;

      ou

    • par un tribunal composé d’un juge et d’un jury.


Au Québec, la Cour provinciale visée à l’article 380 Code criminel est la Cour du Québec. 


Si la valeur de l’objet de l’infraction ne dépasse pas $5.000 (art. 380(1)b) Code criminel) :

  • infraction est hybride et peut être poursuivie par acte d’accusation ou par procédure sommaire;

  • si l’accusé est poursuivi par procédure sommaire, un juge de la Cour provinciale a compétence absolue (article 553(a) (iv) Code criminel);

  • si l’accusé est poursuivi par acte d’accusation, l’accusé peut choisir d’être jugé

    • par un juge de la cour provinciale sans jury et sans enquête préliminaire;

      ou

    • par un juge sans jury;

      ou

    • par un tribunal composé d’un juge et d’un jury (art. 536(2) Code criminel).

Peines prévues à l’article 380 Code criminel

Si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse $5.000 ou si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire (art. 380(1)a) Code criminel) :

  • emprisonnement maximal de 14 ans.

Si la valeur de l’objet de l’infraction ne dépasse pas $5.000 (art. 380(1)b) Code criminel) :

  • emprisonnement maximal de 2 ans.

Détermination de la peine et circonstances aggravantes

Pour déterminer la peine appropriée dans le cas d’une infraction de fraude prévue à l’article 380 Code criminel, la Cour prend en considération les circonstances aggravantes prévues à l’article 380.1(1) Code criminel (en plus de celles prévues à l’article 718.2 Code criminel) :

a) l’ampleur, la complexité, la durée ou le niveau de planification de la fraude commise est important;

b) l’infraction a nui — ou pouvait nuire — à la stabilité de l’économie canadienne, du système financier canadien ou des marchés financiers au Canada ou à la confiance des investisseurs dans un marché financier au Canada;

c) l’infraction a causé des dommages à un nombre élevé de victimes;

c.1) l’infraction a entraîné des conséquences importantes pour les victimes étant donné la situation personnelle de celles-ci, notamment leur âge, leur état de santé et leur situation financière;

d) le délinquant a indûment tiré parti de la réputation d’intégrité dont il jouissait dans la collectivité;

e) il n’a pas satisfait à une exigence d’un permis ou d’une licence, ou à une norme de conduite professionnelle, qui est habituellement applicable à l’activité ou à la conduite qui est à l’origine de la fraude;

f) il a dissimulé ou détruit des dossiers relatifs à la fraude ou au décaissement du produit de la fraude.


L’article 380.1 (2) Code criminel prévoit expressément que la Cour ne doit pas considérer les éléments suivants à titre de circonstances atténuantes :

  • l’emploi qu’occupe le délinquant;

  • ses compétences professionnelles;

  • son statut ou sa réputation dans la collectivité;

si (1) ces facteurs ont contribué à la perpétration de l’infraction, (2) ont été utilisés pour la commettre ou (3) y étaient liés.

D’autres facteurs ont été pris en compte par la jurisprudence à l’égard de la détermination d’une peine en matière de fraude, dont notamment ceux résumés dans la décision Lévesque c. Québec (Procureur général), [1993] JQ no 2006 :

  • la nature et l'étendue de la fraude se traduisant, notamment, par l'ampleur de la spoliation ainsi que la perte pécuniaire réelle subie par la victime;

  • le degré de préméditation se retrouvant, notamment, dans la planification et la mise en oeuvre d'un système frauduleux;

  • les condamnations antérieures du contrevenant : proximité temporelle avec l'infraction reprochée et gravité des infractions antérieures;

  • les bénéfices personnels retirés par le contrevenant;

  • le caractère d'autorité et le lien de confiance présidant aux relations du contrevenant avec la victime;

  • la motivation sous-jacente à la commission de l'infraction :  cupidité, désordre physique ou psychologique, détresse financière, etc.;

  • la fraude résultant de l'appropriation des deniers publics réservés à l'assistance des personnes en difficulté.

Lorsque la fraude vise l’administration publique, en contexte de conflits d’intérêts et de corruption, les tribunaux priorisent les critères de dénonciation et d’exemplarité :

« les objectifs de la dénonciation et la dissuasion collective qui, déjà doivent être priorisés dans ce cas, revêtent une signification particulière en cette période trouble au Québec de l'administration publique, particulièrement municipale, hantée par les cas de fraudes, de conflit d'intérêts et de corruption. Les budgets et les sommes d'argent dédiés au fonctionnement des administrations publiques sont très importants, voire gigantesques, dans certains cas. Les hommes et les femmes occupant les postes clés de ces administrations qui traitent ces deniers publics assument par conséquent des responsabilités très grandes investis de la confiance du public. Leur rôle n'est pas facile et il peut arriver, comme dans le présent cas, que la tentation soit grande de manipuler ou traiter ces affaires pour leur profit personnel plutôt que dans le seul intérêt public ». (R. c. Champagne, 2011 QCCQ 6419; voir aussi R. c. Richard, 2012 QCCQ 55).


Fourchette de peines

En 2024, la Cour du Québec a réitéré la classification des peines en matière de fraudes de grande importance et de fraudes d’importance intermédiaire (R. c. Tremblay, 2024 QCCQ 4591, par. 40) :

  • les fraudes de grande importance (500 000 $ et plus) : Peines d’emprisonnement de 18 mois à six ans environ avec prédominance pour des peines de trois à cinq ans. Des peines allant jusqu’à 14 ans d’emprisonnement peuvent être imposées dans les cas les plus graves. Possibilité d’emprisonnement avec sursis dans les cas exceptionnels;

  • les fraudes d’importance intermédiaire (100 000 $ à 500 000 $) : Peines d’emprisonnement de six mois à trois ans environ, avec prédominance pour des peines de 12 à 20 mois. Possibilité d’emprisonnement avec sursis.

P.S. : En 2015, la Cour du Québec a préparé un tableau de fourchette de peines visant la fraude de plus de 5000$ (article 380(1) a) C.cr.; R. c. Cénac, 2015 QCCQ 3719), disponible ici : 

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