Les agences d’espionnage canadiennes veulent obtenir encore plus de pouvoirs. Et leur propre « CIA ». Qu’en est-il?

Claudiu Popa

29 juin 2025


Concomitamment aux tentatives du gouvernement fédéral libéral de Mark Carney de faire adopter des projets de loi qui élargissent les pouvoirs d’espionnage des services de renseignement canadiens (C-2[1] et C-8[2], 2025), plusieurs ex-employés des services de renseignement sont « sortis du placard » pour militer de façon concertée à travers différents médias en faveur de la création d’un nouveau service de renseignement canadien (« leur propre CIA ») ou encore en faveur de l’élargissement des pouvoirs d’espionnage des services de renseignement actuels et en faveur d’un plus large partage des informations collectées avec des états étrangers (y inclus sur les canadiens).

Partis en campagne promotionnelle pour façonner l’opinion publique et l’habituer à ces idées, ces ex-employés de l’État revendiquent des changements en faveur de l’État.

 

Prise 1

Le 19 juin 2025, Michelle Tessier, ex-directrice des opérations au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), actuellement placée stratégiquement sur le poste de professeure à l’Université d’Ottawa (proche du « quartier général » du SCRS à Ottawa), a donné une entrevue touchant aux trois points centraux[3] de la propagande traditionnelle des services de renseignement lorsqu’ils ont des revendications : « plus d’outils », « plus de partage » et « un mandat élargi ».

Au sujet de l’obtention de plus d’outils d’espionnage, Mme Tessier indique :

« Il faut se prémunir des outils. Et moi, ça serait ma première préoccupation et honnêtement, je ne sais pas jusqu'à quel point que, suite aux recommandations de la commissaire Hogue, jusqu'à quel point que les agences gouvernementales sont équipées pour faire face à cette menace. Donc, c'est une chose d'éduquer le public, mais c'est une autre chose de s'assurer que les agences ont les outils nécessaires pour combattre ce genre d'activité. »[4]

 

Au sujet de la collaboration entre les services d’espionnage et la police, Mme Tessier indique :

« Pour moi, c'est important justement […] de pouvoir s'assurer que et les corps policiers et les services de renseignement peuvent continuer à travailler ensemble parce que veux, veux pas, c'est une réalité que des pays, comme je disais tout à l'heure, vont continuer à vouloir protéger leurs intérêts. Et c'est beaucoup mieux si on peut travailler ensemble […]. Aussi, ça permet des échanges de renseignements, que ce soit service de renseignement à service de renseignement ou que ce soit corps policier à corps policier, qui peut permettre justement à la Gendarmerie royale du Canada de pouvoir se servir d'éléments de preuve lors d'un procès une fois qu'on se rend là » […]

« le plus d'outils qu'on peut avoir, le plus de discussions qu'on peut avoir, va permettre, on espère, à pouvoir diminuer du moins le risque et de mieux protéger nos résidents ici au Canada. »[5]

 

Finalement, au sujet de l’élargissent du mandat des services d’espionnage, Mme Tessier profite de la question du journaliste, formulée de façon (on ne peut plus) subjective (et suggestive) : « Le premier ministre Mark Carney veut réinvestir en défense, dans le militaire, dans la sécurité. Il y a certaines voix qui se sont élevées pour dire qu'on devrait peut-être au Canada avoir un service de renseignement à l'étranger, un peu comme la CIA, ce que le Canada n'a pas. Est-ce que, selon vous, à la lueur des menaces qu'on voit dans le rapport, est-ce que le Canada devrait faire ce pas? »[6].

Mme Tessier répond :

« Pour moi c'est, dans un sens, une question de maturité. Je crois que présentement, au Canada, même à court terme si on veut, le service de renseignement est en mesure de pouvoir répondre aux besoins. Il faut seulement s'assurer, bien « seulement… », il faut s'assurer que les lois, la loi qui gère le SCRS, lui permet d'enquêter sur les intérêts du Canada. Présentement, c'est quand même assez restreint au niveau de ce qu'on dit « les menaces contre la sécurité du Canada », mais en réalité, « les intérêts » nationaux du Canada peuvent être beaucoup plus larges. Si on regarde par exemple à la sécurité économique, la sécurité commerciale. On va peut-être vouloir que notre service de renseignement regarde ces questions. Donc, avant de faire un gros pas vers un service de renseignement étranger, le SRS, aujourd'hui, peut déjà enquêter à l'étranger. Il faut s'assurer par contre que son mandat est élargi, selon moi. »[7]

Ici, Mme Tessier propose « l’idée » de remplacer le critère d’enquête du SCRS de « menaces à la sécurité du Canada » par un critère plus large permettant d’enquêter sur « les intérêts du Canada », ce qui voudrait dire essentiellement d’espionner n’importe qui, n’importe quand, n’importe comment, pour n’importe quelle raison qu’on qualifie « d’intérêt » pour le Canada (ce qu’on craint déjà que les services sont en mesure de faire clandestinement, mais ce genre de pratique étant illégale pour le moment, la judiciarisation du fruit de l’espionnage demeure encore problématique et les services cherchent constamment des façons de la légaliser par ce type de propositions).

 Source : CPAC (extraits)

Prise 2

Avant la sortie de Mme Tessier, Stéphanie Carvin, une autre professeure de l’Université Carleton à Ottawa (également proche du « quartier général » du SCRS à Ottawa), elle aussi ex-analyste en matière de sécurité nationale pour le gouvernement fédéral, est sortie le 6 avril 2025 pour pousser essentiellement le même agenda : « plus d’outils », « plus de partage » et « un mandat élargi ».

À cet effet, CBC publiait « Le Canada devrait-il se doter d'un service de renseignement étranger centré sur les sources humaines? » (« Should Canada build a human-focused, foreign intelligence service? »)[8], alors que Radio-Canada publiait « Le Canada a-t-il besoin d’espions à l’étranger? »[9]. Les deux articles promeuvent le souhait de ces ex-employés de l’État d’élargir le mandat du Service canadien du renseignement de sécurité, dans les termes suivants :

« Stéphanie Carvin, ancienne analyste de sécurité nationale pour le gouvernement fédéral [et professeure d'affaires internationales à l'Université Carleton, à Ottawa], estime qu'il s'agit d'une question que nous devrions examiner et elle n'est pas la seule à préconiser l'évaluation, par le Canada, de la manière dont il peut accroître ses efforts en matière de renseignement étranger. […]

"C'est une question qui revient environ tous les dix ans", a dit Stéphanie Carvin. […]

Pour [Phil Gurski, ancien analyste pour le Service canadien du renseignement de sécurité et le Centre de la sécurité des télécommunications] la solution consiste à étendre le champ d'action du SCRS en dehors des frontières du Canada par le biais de la législation.

Il s'agirait également de transformer le SCRS en une organisation qui s'occuperait à la fois du renseignement étranger et du renseignement de sécurité. […]

Comme conséquence, le SCRS aurait donc besoin de plus de ressources, affirme [Gurski]. [*cette information est disponible seulement dans la version anglaise de l’article; la version française omet curieusement de parler de « plus de ressources »]

Similairement, Carvin estime que le Canada peut faire plus avec les outils dont il dispose actuellement. [*la version française de l’article omet cette information également] »[10].

 

Prise 3

Un mois plus tard, en mai 2025, Stéphanie Carvin est revenue à la charge (même agenda) et a publié un article pour le journal The Globe and Mail, co-écrit avec d’autres ex-employés de l’industrie de l’espionnage/de la « sécurité », dont un collègue professeur de l’Université d’Ottawa (ex-analyste du Ministère de la Défense nationale)[11] et un ex-conseiller du Premier ministre sur la sécurité nationale et le renseignement[12] : « Le Canada a besoin d'un service de renseignement humain étranger » (« Canada needs a foreign human intelligence service »)[13].  Un autre article qui fait l’apologie de l’élargissement du renseignement étranger d’origine humaine, abrégé en ROHUM (« HUMINT » ou « human intelligence »). On y indique notamment :

« les  Forces armées canadiennes [recueillent des renseignements étrangers] lors d'opérations à l'étranger, tandis que le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) dispose d'un solide programme de collecte de renseignements d'origine électromagnétique. En outre, Affaires mondiales Canada [Ministère des Affaires étrangères du Canada] recueille des informations relatives à nos intérêts étrangers par le biais de son  Programme d'établissement de rapports sur la sécurité mondiale [« Global Security Reporting Program »], tandis que leService canadien du renseignement de sécurité (SCRS) recueille des renseignements étrangers au Canada dans des circonstances limitées et peut recueillir des renseignements de sécurité à l'étranger. […] [N]os capacités sont en fait largement respectées, notamment en ce qui concerne les cyberopérations […].

Mais le moment est venu d'intensifier ces efforts. […]

[N]ous croyons que le Premier ministre Mark Carney devrait prendre deux mesures : créer un service de renseignement humain étranger et renforcer les capacités de renseignement actuelles à titre provisoire. […]

La mise en place d'un tel service ne sera pas une tâche facile et nécessitera un important dispositif gouvernemental. Elle engendra un coût financier élevé. […] Elle soulèvera de multiples questions politiques, juridiques et morales. […]

C'est pourquoi, dans l'intervalle, M. Carney devrait augmenter considérablement la collecte et l'analyse des renseignements étrangers par le Canada.  Il pourrait s'agir de fournir davantage de ressources au SCRS, au CST, à Affaires mondiales Canada et aux Forces armées canadiennes pour qu'ils puissent collecter et analyser davantage de renseignements à l'étranger. Il pourrait également s'agir de renforcer les capacités de renseignement de source ouverte dans l'ensemble de la communauté de la sécurité nationale, comme l'a recommandé la juge Marie-Josée Hogue* [*nommée par l’État comme juge et ensuite comme commissaire, payée par l’État, qui a fait des recommandations favorables à l’agenda de l’État] dans son récent rapport sur l'ingérence étrangère. Enfin, le Canada devrait diversifier et approfondir ses partenariats en dehors des "Five Eyes", en particulier en Europe (notamment avec la France, l'Allemagne et les pays nordiques) et dans l'Indo-Pacifique (notamment avec le Japon et la Corée du Sud).

La création d'un service de renseignement humain étranger devrait être une priorité absolue pour le gouvernement »[14].

 

Des fausses prémisses?

Fausse prémisse concernant la « collaboration »?

Les propos avancés par certains des ex-employés du Service canadien du renseignement de sécurité créent l’impression que les services d’espionnage canadiens ne seraient pas réellement suffisamment autorisés à faire leur travail pour collecter du renseignement étranger, pour collaborer ou pour échanger des renseignements avec les services de police canadiens ou, à tout le moins, que cette collaboration serait encombrée par un quelconque aspect législatif. Or, tel n’est pas le cas. Au contraire, le cadre législatif actuel favorise ces rapprochement et collaboration, autant à l’interne qu’à l’international.

Depuis plus de 20 ans, « la coopération entre les services de renseignement et les services de police, entre le CST, le SCRS et la GRC[15], a vu un essor en termes de mesures législatives et d’ententes de coopération facilitant la transmission d’informations entre ces entités étatiques, résultant dans leur rapprochement opérationnel. Il convient d’abord de relever que cette collaboration était d’ailleurs confirmée par le ministre de la Défense nationale en 2001 :

"le CST travaille en collaboration avec le SCRS. Nous [le CST] échangeons de l'information avec eux et avec d'autres services du réseau de renseignement gouvernemental et d'autres pays. Ils sont assez vitaux, parce que nous obtenons d'eux beaucoup d'information. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande nous fournissent énormément d'informations. Nous leur en fournissons aussi. C'est donc une entente de partage, qui repose sur la coopération"[16] »[17].

 

Sur ce point, « le CST, le SCRS et la GRC sont des membres actifs d’organisations internationales visant l’échange de renseignement, notamment dans cadre de l’alliance de services de renseignement regroupant le Canada, les États-Unis, le Royaume Uni d’Angleterre, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, autrement appelée la "collectivité des cinq", les "cinq yeux" ou le "Groupe des cinq" ou, en anglais, l’alliance des "Five Eyes"[18] »[19].

« La volonté de renforcer le rapprochement des services étatiques et de concrétiser les relations de collaboration s’est transposée également dans de nombreux protocoles d’entente entre le CST et le SCRS en 2007 visant les "modalités de coopération en matière de collecte, de partage et de soutien opérationnel"[20] » [21].

Ce rapprochement a également été mis en évidence en 2018, lorsque « le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile annonçait la création par la GRC de l’Unité nationale de coordination contre la cybercriminalité[22], de même que sa collaboration avec le CST et des partenaires internationaux, notamment "pour coordonner les opérations policières canadiennes contre les cybercriminels"[23] »[24].

Dans la même veine, depuis 2021 « le CST, les Forces armées canadiennes, le SCRS et la GRC, dont l’Unité nationale de coordination contre la cybercriminalité et des services de police fédéraux, ont formé le groupe opérationnel connu sous le nom de l’Unité de cyberincidents nationale "pour accroître la coordination des interventions en cas de cyberincidents"[25] en matière de sécurité nationale »[26].

En mars 2025, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) informait lui-même le public de son rôle dans les enquêtes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur la sécurité nationale :

« Bien que les mandats de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et du SCRS soient distincts, les deux organismes partagent un objectif important : lutter contre les menaces pour la sécurité nationale et garantir la sécurité publique. Compte tenu de son mandat, le SCRS détecte souvent les menaces émergentes avant la GRC. Conformément au cadre Une vision, le SCRS et la GRC dialoguent régulièrement afin de déterminer la stratégie la plus efficace pour lutter contre une menace. S’ils décident qu’une enquête et des poursuites criminelles sont la meilleure approche, ils collaborent pour réduire le risque que les informations sensibles du SCRS soient soumises à l’obligation de divulgation imposée aux forces de l’ordre »[27].

Lorsque d’anciens employés du SCRS affirment que « c'est beaucoup mieux si on peut travailler ensemble », laissant entendre que ces entités ne le font pas déjà assez, cela induit le public en erreur quant aux activités réelles et quant aux capacités législatives et opérationnelles de ces entités étatiques.

Fausse prémisse concernant le « financement »?

Les propos avancés par certains ex-employés du Service canadien du renseignement de sécurité créent aussi l’impression que les services de renseignement canadien ne seraient pas suffisamment financés par le gouvernement. On déplore un manque de ressources ou on en réclame davantage, alors que les services d’espionnage canadiens ont vu leurs budgets s’agrandir constamment. Concernant le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), Radio-Canada rapportait le 28 juin 2025 que « le budget de l’agence canadienne de cyberespionnage a quasiment doublé en trois ans »[28], mentionnant notamment que :

« Cette agence chapeautée par le ministère de la Défense nationale a vu son budget presque doubler en trois ans, passant de 859 millions de dollars en 2022 à un peu plus de 1,6 milliard d’ici la fin 2025. En 2021, le budget du CST était de 794 millions.

"C’est énorme dans l’histoire de cette agence", se réjouit la cheffe du CST, Caroline Xavier, dans une entrevue accordée à Radio-Canada. "On ne va pas se plaindre" ». […]

Le CST a aussi vu ses effectifs augmenter de près de 25 % en cinq ans, passant de 2900 employés en 2020 à plus de 3800 en 2025. "Nous sommes en période de croissance", explique Mme Xavier, qui estime que le nombre de personnes employées par son agence passera à plus de 4000 d’ici mars 2026.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a, lui aussi, connu une croissance importante en termes de financement : alors que pour l’année 2024-2025 il a reçu plus de 702 000 000$ (sans compter le financement supplémentaire)[29], pour l’année 2025-2026, le SCRS bénéficiera d’un budget de près de 1 000 000 000$ (un milliard de dollars)[30]. Le Canada a octroyé à ces deux services de renseignement un budget comparable à celui accordé par la France aux siens[31], alors que le Canada compte environ 27 millions d’habitants de moins que la France[32] et qu’il détient un PIB inférieur à celui de la France de près de 750 000 000 000$ (750 milliards de dollars américains)[33].

À cela s’ajoutent deux autres entités canadiennes qui recueillent du renseignement étranger, les Forces armées canadiennes (sous le Ministère de la Défense nationale) et Affaires mondiales Canada (Ministère des Affaires étrangères). Les deux Ministères s’attendent de recevoir un financement de 42 000 000 000$ (42 milliards de dollars)[34] et respectivement de plus de 8 400 000 000 $ (8.40 milliards de dollars) pour l’année 2025-2026[35].

Pourtant, ces ex-employés des services de renseignement réclament toujours à l’État de fournir plus de ressources à leurs anciens employeurs.

Aussi, plus d’outils.

Fausse prémisse concernant les  « outils »?

Dans les médias, on prétend avoir besoin de plus d’outils et on réclame que les services de renseignement soient munis du « plus d’outils qu’on peut avoir », sans identifier ces outils, sans expliquer pourquoi les services auraient besoin de ces outils supplémentaires et sans indiquer concrètement quelles seraient les insuffisances des services de renseignement au niveau de ces mystérieux « outils » désirés.

Pourtant, du même souffle, les dirigeants du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) rassurent les canadiens que leur agence dispose des outils nécessaires pour exercer adéquatement sa mission. La sous-directrice des Opérations, Vanessa Lloyd, qui dirige la collecte de renseignements humains, l’analyse du renseignement, le filtrage de sécurité et les efforts de la réduction de la menace au SCRS, a déclaré dans le rapport annuel de 2024 du SCRS, publié en mars 2025 :

« En 2024, nous avons établi de nouveaux partenariats, employé des techniques spécialisées comme elles n’avaient jamais été utilisées jusque-là et obtenu de nouveaux pouvoirs législatifs. Il s’agit[36] plus précisément de nouveaux pouvoirs judiciaires qui aideront le SCRS à s’adapter à la réalité d’un monde axé sur les données et le numérique qui ne connaît aucune frontière géographique. Le SCRS a aussi intensifié la collaboration avec ses partenaires étrangers au moyen de campagnes coordonnées »[37].

 

En ce qui concerne l’ingérence étrangère, la sous-directrice des Opérations a également offert des assurances au public canadien :

« ma comparution en septembre dans le cadre de l’EPIE [la Commission Hogue sur l’ingérence étrangère] m’a permis de vous dire que le SCRS enquête depuis longtemps sur l’ingérence étrangère, qu’il a une compréhension approfondie de la menace et qu’il est déterminé à contrer les activités liées à la menace avant l’élection générale de 2025 »[38].

 

Similairement, la directrice adjointe de la Technologie du SCRS, Jacqueline Mayda, qui appuie les fonctions de soutien des opérations et améliore l’efficacité opérationnelle du SCRS au moyen de la technologie, a déclaré que :

« Le SCRS emploie diverses méthodes de collecte pour surveiller les activités soupçonnées de représenter une menace pour la sécurité nationale. Ces méthodes lui permettent de recueillir des informations exploitables dont il tire des renseignements. Or, les informations se composent de données »[39].

« Nous travaillons avec nos partenaires canadiens et étrangers à recueillir, échanger, stocker et traiter de très grandes quantités de données de sources diverses afin de mieux assurer la sécurité au pays et sur la scène internationale. Dans le cadre d’un grand projet axé sur le renseignement alimenté par les données, nous regroupons les données que nous possédons, et nous diversifions et multiplions nos analyses pour être en mesure de fournir des rapports de renseignement exploitables de qualité supérieure »[40].

En ce qui concerne les doléances à l’effet que le mandat du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) serait « restreint » et qu’il devrait être beaucoup plus large pour permettre au SCRS « d’enquêter sur les intérêts du Canada », comme les intérêts économiques ou commerciaux (pas seulement sur les « menaces à la sécurité du Canada »), il s’agit également d’un faux débat puisque le mandat du SCRS est défini d’une manière si large qu’il inclut déjà ces éléments. Dans ses propres mots, l’agence considère que l’enquête sur les activités économiques et commerciales « constitue une priorité pour le SCRS ». En ce sens, en 2024, le SCRS « a examiné 1 220 avis d’investissement […] pour déterminer s’ils suscitaient des préoccupations en matière de sécurité nationale »[41]. Sur une thématique connexe, l’agence de renseignement indique avoir

« mené, sous l’angle de la sécurité nationale, un examen approfondi des investissements liés à la santé publique et des menaces qui pèsent sur la chaîne d’approvisionnement en biens et services essentiels »[42].

 

Le SCRS peut aussi « enquêter sur les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord […] si elles ont un lien avec des activités qui constituent des menaces pour la sécurité du Canada »[43]. Compte tenu de la portée large de l’expression « menaces pour la sécurité du Canada », le SCRS a tendance à « étirer l’élastique sémantique » pour tenter de justifier d’enquêter sur des affaires connexes (cibler des journalistes, des activistes, des politiciens, des professeurs universitaires, des avocats et même des juges qui sont impliqués dans des dossiers visant les « intérêts » « du Canada », etc.). Un exemple flagrant est celui de 2021, où, dans son rapport annuel, le SCRS a déclaré qu’il : « continuera de collaborer étroitement avec les autres membres de l’appareil canadien de la sécurité et du renseignement ainsi qu’avec ses partenaires étrangers afin d’aider à protéger les mesures qui sont prises pour lutter contre la pandémie au Canada »[44], ces mesures ayant été prises par le gouvernement fédéral. On se rappelle que parmi « les mesures » qui ont été prises pour lutter contre « la pandémie au Canada » a été notamment l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence[45], dont l’utilisation a été fortement critiquée par une pluralité de voix[46] et a été ultérieurement déclarée illégale par la Cour fédérale[47].

Le SCRS a également admis que les « nouveaux pouvoirs conférés par le projet de loi C-70 [la Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère entrée en vigueur en juin 2024] nous permettent de collaborer avec tous les secteurs de la société de nouvelles façons »[48]. En ce sens, l’agence reconnait que « le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, a apporté à la Loi sur le SCRS sa mise à jour la plus importante depuis son adoption en 1984 »[49].

Malgré tout, on réclame toujours la même chose : « plus d’outils », « plus de ressources », « plus de partage d’informations ».

Plus de pouvoirs.


*****

[1] Loi concernant certaines mesures liées à la sécurité de la frontière entre le Canada et les États-Unis et d'autres mesures connexes liées à la sécurité, projet de loi C-2, 45e légis., 1ère sess., 2025, en ligne : ‹https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/45-1/projet-loi/C-2/premiere-lecture›.

[2] Loi concernant la cybersécurité, modifiant la Loi sur les télécommunications et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, projet de loi C-8, 45e légis., 1ère sess., 2025, en ligne : ‹https://www.parl.ca/LegisInfo/fr/projet-de-loi/45-1/C-8›.

[3] CPAC, « Relations Inde-Canada : le SCRS appelle Ottawa à la prudence », émission L’essentiel, 19 juin 2025, en ligne : ‹https://www.youtube.com/watch?v=O3Gl7kIwbv4›.

[4] Id.

[5] Id.

[6] Id.

[7] Id.

[8] Geoff NIXON, « Should Canada build a human-focused, foreign intelligence service? », CBC.ca, 6 avril 2025, en ligne : ‹https://www.cbc.ca/news/canada/canada-human-foreign-intelligence-1.7498632›.

[9] RADIO-CANADA, « Le Canada a-t-il besoin d’espions à l’étranger? », Ici.radio-canada.ca, 6 avril 2025, en ligne : ‹https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2154154/espions-etrangers-canada-scrs›.

[10] G. NIXON, préc., note 8; RADIO-CANADA, préc., note 9.

[11] CARLETON UNIVERSITY, « Thomas Juneau », Carleton.ca, 2025, en ligne : ‹https://carleton.ca/polisci/people/alum-thomas-juneau/›.

[12] CSIS, « Vincent Rigby », CSIS, 2025, en ligne : ‹https://www.csis.org/people/vincent-rigby›.

[13] Thomas JUNEAU, Vincent RIGBY et Stephanie CARVIN, « Canada needs a foreign human intelligence service », The Globe and Mail, 12 mai 2025, en ligne : ‹https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-canada-needs-a-foreign-human-intelligence-service/›.

[14] Id.

[15] Greg FYFFE, « The Canadian Intelligence Community After 9/11 », (2011) 13-3 Journal of Military and Strategic Studies 1, 9.

[16] COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE, Témoignages, Réunion 31, 23 octobre 2001, (min. de la Défense nationale, l’hon. Art Eggleton).

[17] Claudiu POPA, Collecte de preuve et enquête étatique à l’ère de l’écosystème "police, services de renseignement, corporations privées". À la recherche d’une protection des droits fondamentaux de la personne, thèse de doctorat, Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et Faculté de droit et science politique de l’Université de Bordeaux, 2024, p. 222.

[18] COMITÉ DES PARLEMENTAIRES SUR LA SÉCURITÉ NATIONALE ET LE RENSEIGNEMENT, Rapport spécial sur le mandat de la Police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada, Nsicop-cpsnr.ca, 2023, par. 87, p. 43, en ligne : <https://www.nsicop-cpsnr.ca/reports/rp-2023-11-fp/RCMP_FP_report_FR.pdf>.

[19] C. POPA, préc., note 17, p. 222.

[20] COMITÉ DE SURVEILLANCE DES ACTIVITÉS DE RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ, Collaboration du SCRS avec le Centre de la sécurité des télécommunications Canada, Étude du CSARS 2012-05, Sirc-csars.gc.ca, 5 mars 2019, p. 7, en ligne : <http://www.sirc-csars.gc.ca/opbapb/lsrlse/2012/2012-05-fra.pdf>.

[21] C. POPA, préc., note 17, p. 221 et 222.

[22] Également connue sous le nom du « Centre national de coordination en cybercriminalité », l’Unité nationale de coordination de la lutte contre la cybercriminalité agit en collaboration avec des organismes de l’application de la loi, des gouvernements et des organismes du secteur privé du Canada notamment pour coordonner les enquêtes en matière de cybercriminalité au Canada, fournir des conseils et des avis au niveau des enquêtes aux services policiers canadiens et « produire des renseignements exploitables sur la cybercriminalité à l’intention des services de police canadiens » (GRC, « Centre national de coordination en cybercriminalité (CNC3) », Rcmp-grc.gc.ca, 19 octobre 2022, en ligne : <https://www.rcmp-grc.gc.ca/fr/gnc3>).

[23] SÉCURITÉ PUBLIQUE CANADA, « Plan d’action national en matière de cybersécurité (2019-2024) », Ottawa, Gouvernement du Canada, 2019, p. 8, en ligne : <https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/ntnl-cbr-scrt-strtg-2019/ntnl-cbr-scrt-strtg-2019-fr.pdf>.

[24] C. POPA, préc., note 17, p. 221.

[25] CENTRE DE LA SÉCURITÉ DES TÉLÉCOMMUNICATIONS, Rapport annuel 2021-2022, Cse-cst.gc.ca, 21 juin 2023, en ligne : <https://www.cse-cst.gc.ca/fr/reddition-de-comptes/transparence/rapports/rapport-annuel-du-cst-2021-2022>.

[26] C. POPA, préc., note 17, p. 221.

[27] SCRS, Rapport public du SCRS 2024, Ottawa, Sa Majesté le roi du chef du Canada, 2025, p. 27, en ligne : ‹https://www.canada.ca/content/dam/csis-scrs/images/2024publicreport/newest/Public_Report_2024-fra-DIGITAL_2025-03-31_with_accessibility.pdf›.

[28] Rania MASSOUD, « Le budget de l’agence canadienne de cyberespionnage a quasiment doublé en trois ans », Radio-Canada, 28 juin 2025, en ligne : ‹https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2176023/budget-agence-cyberespionnage-depenses-defense-canada-cst›.

[29] GOUVERNEMENT DU CANADA, « Budget des dépenses 2024-2025 », Canada.ca, 12 juin 2024, en ligne : ‹https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/depenses-prevues/plan-depenses-budget-principal/2024-25-budget-depenses.html›.

[30] GOUVERNEMENT DU CANADA, « Budget des dépenses 2025-2026 », Canada.ca, 27 mai 2025, en ligne : ‹https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/depenses-prevues/plan-depenses-budget-principal/2025-26-budget-depenses.html›.

[31] Environ 1 000 000 000 (1 milliard) d’euros pour la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) pour 2025 et environ 300 000 000 (300 millions) d’euros pour la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour 2023 (le budget à jour n’est pas disponible au public pour le moment); Vincent LAMIGEON, « La DGSE dépasse le milliard d’euros de budget en 2025, une hausse historique pour les espions français », Challenges.fr, 18 octobre 2024, en ligne : ‹https://www.challenges.fr/entreprise/defense/la-dgse-depasse-le-milliard-d-euros-de-budget-en-2025-une-hausse-historique-pour-les-espions-francais_908528›; Joseph BALODIS, « France’s Intelligence Community: An Overview », Greydynamics.com, 25 mars 2024, en ligne : ‹https://greydynamics.com/frances-intelligence-community-an-overview/›.

[32] En 2024, le Canada comptait approximativement 41.5 millions d’habitants, alors que la France en comptait approximativement 68.4 millions; STATISTIQUE CANADA, « Canada’s population estimates, third quarter 2024 », Statistique Canada¸ 17 décembre 2024, en ligne : ‹https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/241217/dq241217c-eng.htm›; Aaron O’NEILL, « Total population of France 2030 », Statista.com, 15 mai 2025, en ligne : ‹https://www.statista.com/statistics/263743/total-population-of-france/›.

[33] Le PIB du Canada prévu pour 2024 était d’environ 2.41 trilliards de dollars américains, alors que celui de la France était d’environ 3.16 trilliards de dollars américains; Aaron O’NEILL, « Gross domestic product (GDP) in Canada 2030 », Statista.com, 21 mai 2025, en ligne : ‹https://www.statista.com/statistics/263574/gross-domestic-product-gdp-in-canada/›; Aaron O’NEILL, « Gross domestic product (GDP) in France 2030 », Statista.com, 21 mai 2025, en ligne : ‹https://www.statista.com/statistics/263575/gross-domestic-product-gdp-in-france/›.

[34] GOUVERNEMENT DU CANADA, « Budget des dépenses 2025-2026 », préc., note 30; GOUVERNEMENT DU CANADA, « Budget supplémentaire des dépenses (A), 2025-2026 », 9 juin 2025, Canada.ca, en ligne : ‹https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/depenses-prevues/budgets-supplementaires/budget-supplementaire-depenses-a-2025-2026.html›.

[35] Id.

[36] SCRS, Rapport public du SCRS 2024, préc., note 27, p. 28.

[37] Id., p. 30.

[38] Id., p. 30.

[39] Id., p. 56.

[40] Id., p. 58.

[41] Id., p. 60.

[42] GOUVERNEMENT DU CANADA, « Menaces à la sécurité nationale du Canada », Canada.ca, 6 mai 2022, en ligne : ‹https://www.canada.ca/fr/service-renseignement-securite/organisation/publications/rapport-public-2021/menaces-contre-securite-nationale.html›.

[43] Id., p. 26.

[44] GOUVERNEMENT DU CANADA, « Menaces à la sécurité nationale du Canada », préc., note 42.

[45] L.R.C. (1985), c. 22.

[46] David M. WELLS, « Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence était clairement excessif : sénateur Wells », Sencanada.ca, 1 juin 2022, en ligne : ‹https://sencanada.ca/fr/sencaplus/opinion/le-recours-a-la-loi-sur-les-mesures-durgence-etait-clairement-excessif-senateur-wells/›; James-Patrick CANNON, « Loi sur les mesures d’urgence : le gouvernement fédéral critiqué de toutes parts », Radio-Canada.ca, 13 octobre 2022, en ligne : ‹https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1924364/commission-etat-urgence-audiences-publiques-debut›; Pascal DESBIENS, « La Loi sur les mesures d’urgence… quelles urgences? », Le Devoir, 18 février 2022, en ligne : ‹https://www.ledevoir.com/opinion/idees/676230/coronavirus-la-loi-sur-les-mesures-d-urgence-quelles-urgences›; ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES, « Loi sur les mesures d’urgence. Défendre la primauté du droit, les processus démocratiques et les droits de réunion pacifique pour tous au Canada », Ccla.org, 2025, en ligne : ‹https://ccla.org/fr/principaux-cas-et-rapports/loi-sur-les-urgences/›.

[47] Canadian Frontline Nurses v. Canada (Attorney General), 2024 FC 42 (appel en cours devant la Cour d’appel fédérale).

[48] Id., p. 12.

[49] Id., p. 11.

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