Décoder le droit criminel et pénal canadien 14 : LA DÉTERMINATION DE LA PEINE

Claudiu Popa

La détermination de la peine

On arrive à cette étape lorsque l’accusé est déclaré coupable ou s’il plaide coupable.

On ne se rend pas à cette étape si l’accusé est acquitté ou si le juge prononce l’arrêt des procédures.

La détermination de la peine est laissée à la discrétion du juge (article 718.3(1) et (2) Code criminel), tout en tenant compte des peines minimales ou maximales applicables, prévues par le Code criminel.

Quand détermine-t-on la peine? 

Après la déclaration de culpabilité, dans les meilleurs délais possibles (article 720(1) Code criminel).

Art. 720 (1) C.cr. : Dans les meilleurs délais possibles suivant la déclaration de culpabilité, le tribunal procède à la détermination de la peine à infliger au délinquant.

 

Quand débute la peine? 

Dès le prononcé de la peine par le juge, sauf exception (article 719(1) Code criminel).

Art. 719 (1) C.cr. : La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.

 

En cas de pluralité de peines, comments peuvent-elles être purgées?

De façon consécutive ou concurrente (article 718.3(4) Code criminel)

De façon consécutive : les peines sont purgées l’une à la suite de l’autre.

De façon concurrente : les peines sont purgées en même temps. 

Réduction de la peine 

La personne déclarée coupable a la possibilité de demander la réduction de la peine compte tenu du temps passé sous garde avant / durant le procès (article 719(3) Code criminel).

Art. 719 (3) C.cr. : Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction; il doit, le cas échéant, restreindre le temps alloué pour cette période à un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde.

Observations sur tous faits pertinents par la personne coupable (ou son avocat) et la poursuite

Avant de déterminer la peine (article 723(1) Code criminel).

Art. 723 (1) C.cr. : Avant de déterminer la peine, le tribunal donne aux parties — le délinquant ou son avocat, selon le cas, et le poursuivant — la possibilité de lui présenter des observations sur tous faits pertinents liés à la détermination de la peine.

Les faits pertinents doivent être prouvés selon la prépondérance des preuves (50+1%).

Les facteurs aggravants doivent être prouvés par la poursuite hors de tout doute raisonnables (article 724(3)d), e) Code criminel).

Observations de la personne coupable 

Avant de déterminer la peine (article 726 Code criminel).

Art. 726 C.cr. : Avant de déterminer la peine, le tribunal donne au délinquant, s’il est présent, la possibilité de lui présenter ses observations.

 

Déclaration de la victime

Pour déterminer la peine ou dans le cas de l’absolution (article 722(1) Code criminel).

Art. 722 (1) C.cr. : Pour déterminer la peine à infliger ou pour décider si un délinquant devrait être absous en vertu de l’article 730, le tribunal prend en considération la déclaration de la victime, rédigée en conformité avec le présent article et déposée auprès du tribunal, décrivant les dommages — matériels, corporels ou moraux — ou les pertes économiques qui ont été causés à la victime par suite de la perpétration de l’infraction ainsi que les répercussions que l’infraction a eues sur elle.

 

Rapport pré-sentenciel de l’agent de probation 

Si le tribunal l’ordonne, afin de l’aider à infliger une peine ou à décider de l’absolution de la personne.

Art. 721 (1) C.cr. : Sous réserve des règlements d’application du paragraphe (2), lorsque l’accusé, autre qu’une organisation, plaide coupable ou est reconnu coupable d’une infraction, l’agent de probation est tenu, s’il est requis de le faire par le tribunal, de préparer et de déposer devant celui-ci un rapport écrit concernant l’accusé afin d’aider le tribunal à infliger une peine ou à décider si l’accusé devrait être absous en application de l’article 730.

 

Autres éléments pris en compte par le juge dans la détermination de la peine 

Lorsqu’il doit déterminer le type et la durée de la peine, le juge prend en considération plusieurs éléments, dont les aspects constitutionnels, les objectifs recherchés, les facteurs atténuants et les facteurs aggravants, l’harmonisation et l’individualisation des peines, les peines disponibles, ainsi que des aspects techniques.

 

La protection contre les peines cruelles et inusitées

Article 12 Charte canadienne

Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

La peine doit être excessive (exagérément disproportionnée) au point de porter atteinte aux normes de décence.

Éléments que le tribunal doit évaluer pour déterminer si la peine est cruelle et inusitée

  • la gravité de l’infraction commise

  • les caractéristiques personnelles de la personne accusée

  • les circonstances du dossier

  • les effets de la peine (nature, durée, importance)

  • la nécessité d'une telle peine pour atteindre des objectifs sociaux

Comment évaluer ces éléments?

  • Est-ce que la peine est cruelle et inusitée pour l’accusé compte tenu des faits en cause?

  • Si on se place dans des situations hypothétiques raisonnables, la peine est-elle cruelle et inusitée?

Si la peine ainsi déterminée par le juge est moindre que la peine minimale prévue, alors le juge pourra qualifier la peine comme étant cruelle et exagérément disproportionnée.

Le droit à la peine la moins sévère

L’accusé a le droit de choisir entre la peine qui était applicable au moment de son crime et la peine en vigueur au moment de la détermination de la peine.

Article 11 Charte canadienne : Tout inculpé a le droit : i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence.

Les objectifs de la détermination de la peine

Le juge a un large pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne le prononcé des peines, mais il doit viser les deux grands buts suivants :

  • le respect du principe de primauté du droit, similaire au principe de légalité (ce qui existe au Code criminel) – on suit l’état du droit à un moment X (R. c. Poulin).

  • le maintien d’un société juste, paisible et sûre - tenir compte du moment où la personne a commis le crime, de la connaissance de cause, etc.

Pour atteindre ces buts, le juge doit également tenir compte d’un ou plusieurs des 6 objectifs suivants :

Objectifs de répression et de protection 

Article 718 C.cr.

a) dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;(ex : autochtone)

Objectifs de réinsertion

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la collectivité.

Proportionnalité de la peine

La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de la personne coupable (article 718.1 Code criminel).

  • La gravité de l’infraction s’évalue d’un point de vue objectif et d’un point de vue subjectif.

  • La gravité objective : on se demande à quel point le geste en soi est grave.

  • La gravité subjective : on évalue la situation particulière de l’infraction, les conséquences de l’infraction commise, les caractéristiques de la personne coupable et la culpabilité morale de cette personne (sa responsabilité).

Individualisation de la peine 

On cherche à individualiser la peine à la situation de la personne coupable (principe d’individualisation de la peine), bien qu’en général on souhaite que deux individus similaires reçoivent une peine similaire pour un crime similaire (principe d’harmonisation des peines)

  • Pour individualiser la peine, le juge doit tenir compte des facteurs atténuants et des facteurs aggravants (articles 718.2 et ss. Code criminel)

  • Les facteurs atténuants, à prouver hors de tout doute raisonnable

    • La personne a plaidé coupable

    • La personne n’a pas d’antécédents judiciaires

    • La personne a exprimé des remords

    • La personne s’implique dans sa communauté et dans la société

    • La personne a un jeune âge

  • Les facteurs aggravants, à prouver par balance des probabilités (article 724(3) Code criminel)

    • Abus de confiance

    • Abus d’autorité

    • La personne s’est prise à des personnes vulnérables

    • La personne a des antécédents judiciaires connexe à l’infraction en question

Dans l’évaluation de la peine, le juge peut également considérer les conséquences indirectes subies par la personne coupable à la suite du geste coupable ou encore, de la croyance sincère mais erronée de la personne sur la légalité de son geste (l’erreur de droit) (R. c. Suter).  

Harmonisation de la peine

Pour harmoniser la peine, on se réfère à la fourchette des peines (un condensé de peines minimales et maximales infligées par les tribunaux dans le passé pour le même crime).

En principe, le juge doit considérer les options de peines les moins contraignantes, en accord avec les objectifs prévus par le Code criminel. Le juge doit également chercher à éviter d’imposer une peine d’emprisonnement, si cela est possible, ou encore, privilégier les sanctions substitutives.

 

Types de peines

Parmi les peines possibles, on retrouve l’absolution (inconditionnelle ou conditionnelle), la probation, l’amende, le dédommagement de la victime, l’emprisonnement dans la collectivité et l’emprisonnement.

 

L’absolution

(article 730(4) Code criminel)

L’absolution peut être conditionnelle ou inconditionnelle (article 730 Code criminel) et permet d’effacer le casier judiciaire de la personne coupable.

La personne est alors réputée ne pas avoir été condamnée à l’égard de l’infraction.

Art. 730 (1) C.cr. : Le tribunal devant lequel comparaît l’accusé, autre qu’une organisation, qui plaide coupable ou est reconnu coupable d’une infraction pour laquelle la loi ne prescrit pas de peine minimale ou qui n’est pas punissable d’un emprisonnement de quatorze ans ou de l’emprisonnement à perpétuité peut, s’il considère qu’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé sans nuire à l’intérêt public, au lieu de le condamner, prescrire par ordonnance qu’il soit absous inconditionnellement ou aux conditions prévues dans l’ordonnance rendue aux termes du paragraphe 731(2).

Pour pouvoir bénéficier d’une absolution, 5 critères doivent être rencontrés :

  • La personne coupable est une personne physique;

  • L’infraction ne prévoit pas de peine minimale;

  • L’infraction est passible d’une peine d’emprisonnement de moins de 14 ans;

  • L’absolution est dans le meilleur intérêt de la personne coupable;

  • L’absolution ne doit pas être contraire ou nuire à l’intérêt public.

 

L’absolution peut être assortie d’une période de probation (article 731(2) Code criminel) et d’autres conditions (article 732.1 Code criminel).

Si la personne absoute est déclarée coupable d’une infraction après son absolution ou si elle enfreint une condition, le tribunal peut annuler son absolution et prononcer toute peine qui aurait pu être infligée au moment de son absolution (article 730(4) Code criminel).

 

La probation

(article 731 Code criminel)

La probation peut être ordonnée dans 2 scénarios :

  • elle constitue la seule peine imposée à l’accusée (article 731(1)a) Code criminel)

    • s’applique également en cas d’absolution aux termes de l’article 730(1) Code criminel (article 731(2) Code criminel)

  • elle s’ajoute à une amende ou à une peine d’emprisonnement maximal de 2 ans (article 731(1)b) Code criminel)

La durée de la probation peut être de maximum 3 ans (article 732.2(2)b) Code criminel).

Le défaut de se conformer à une ordonnance de probation est punissable d’une peine d’emprisonnement maximal allant jusqu’à 4 ans (article 733.1 Code criminel).

 

L’amende

(article 734 Code criminel)

L’amende peut constituer la seule peine ou s’ajouter à d’autres peines.

En principe, avant d’imposer une amende, le juge doit évaluer la capacité de la payer ou de s’en acquitter.

Exception : les infractions qui prévoient une peine d’amende minimale ou si elle peut substituer une ordonnance de confiscation.

Article 734 (2) C.cr. : Sauf dans le cas d’une amende minimale ou de celle pouvant être infligée au lieu d’une ordonnance de confiscation, le tribunal ne peut infliger l’amende prévue au présent article que s’il est convaincu que le délinquant a la capacité de la payer ou de s’en acquitter en application de l’article 736.

Lorsque l’accusé fait défaut de payer l’amende, il risque l’emprisonnement aux termes de l’article 734(5) Code criminel.

Lorsque le juge ordonne le paiement d’une amende, le montant de l’amende ne sera pas versé à la victime, mais reviendra au Trésor provincial, au receveur général ou à une autorité locale, en application de l’article 734.4 Code criminel.

L’amende ne doit pas être confondue avec la suramende compensatoire prévue à l’article 737 Code criminel.

  • le contrevenant est tenu de verser une suramende compensatoire pour chaque infraction, en plus de toute autre peine qui lui est infligée (même lorsqu’une amende est imposée par le tribunal), sauf exceptions (article 737(2.1) Code criminel).

Le dédommagement de la victime

(article 738 Code criminel)

Il ne s’agit pas d’une sentence en soi, mais s’ajoute à une autre sentence et s’applique même en cas d’absolution sous l’article 730 Code criminel.

La victime peut, de plus, instituer un recours civil contre la personne coupable pour obtenir la réparation du préjudice subi (une demande en dommages-intérêts).

Le dédommagement peut être ordonné d’office ou à la demande du procureur général dans les cas prévus à l’article 738(1) Code criminel.

 

L’emprisonnement dans la collectivité

(article 742.1 Code criminel)

Il s’agit d’une peine d’emprisonnement que la personne coupable peut purger dans la collectivité, chez soi. La personne coupable est autorisée à sortir de son lieu d’habitation seulement dans certains cas d’exception, dont pour se déplacer au travail, pour se déplacer aux rendez-vous médicaux, pour se présenter au tribunal.

Si la personne coupable brise ses conditions accompagnant l’emprisonnement dans la collectivité, elle risque de purger la peine restante en prison (article 743.6(9) Code criminel)

Quels sont les critères permettant une telle peine et quelles en sont les conditions?

  • La personne coupable est une personne physique;

  • On lui a imposé une peine de 2 ans moins 1 jour;

  • L’infraction ne prévoit pas de peine minimale;

  • L’infraction n’exclut pas l’emprisonnement dans la collectivité;

  • Si l’infraction est passible d’une peine maximale de 10 ans, mais que l’infraction commise

    • ne concerne l’usage d’une arme;

    • ne concerne des lésions corporelles;

    • ne concerne l’importation, l’exportation, le trafic ou la production de drogues;

    • ne se retrouve pas sur la liste d’infractions mentionnées à l’article 742.1 Code criminel;

  • La personne coupable ne met pas en danger la sécurité de la collectivité (évaluation des risques);

  • Les objectifs des articles 718 et ss. Code criminel sont respectés.

Conditions

  • La personne doit demeurer dans son habitation;

  • Interdiction de fréquenter certains lieux;

  • Interdiction de contacter certaines personnes;

  • Obligation de faire des dons;

  • Obligation de faire des travaux communautaires;

  • Période de probation.

En cas de bris d’une condition, sans excuse raisonnable (article 743.6(9) Code criminel), le tribunal peut 

a) ne pas agir;

b) modifier les conditions facultatives;

c) suspendre l’ordonnance et ordonner :

(i) d’une part, au délinquant de purger en prison une partie de la peine qui reste à courir,

(ii) d’autre part, que l’ordonnance s’applique à compter de la libération du délinquant, avec ou sans modification des conditions facultatives;

d) mettre fin à l’ordonnance de sursis et ordonner que le délinquant soit incarcéré jusqu’à la fin de la peine d’emprisonnement.

 

L’emprisonnement

(article 743.1 Code criminel)

Lorsque la peine d’emprisonnement est de 2 ans moins 1 jour, elle sera purgée dans une prison provinciale (article 743.1(3) Code criminel).

Lorsque la peine est de 2 ans et plus, elle sera purgée dans un pénitencier fédéral (article 743.1(1) Code criminel).

Le juge peut ordonner que la sentence d’emprisonnement soit discontinue si l’emprisonnement est de 90 jours ou moins : purgée en fin de semaine (article 732(1) Code criminel).

La suite de la série Décoder le droit criminel et pénal canadien abordera … à suivre.

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