Décoder le droit criminel et pénal canadien 1 : INTRODUCTION
Claudiu Popa
Décoder le droit criminel et pénal canadien
On dit souvent que le droit criminel canadien est un domaine difficile à comprendre. Ce n’est pas complètement faux, après tout, il n’y a pas de fumée sans feu et beaucoup d’étudiants en droit pourraient en témoigner.
Par contre, si on décode le langage juridique propre au droit criminel et sa structure caractéristique, il devient bien plus facile à déchiffrer.
La série d’articles “Décoder le droit criminel et pénal canadien” propose de transformer l’incompréhensible en accessible.
Cette série se veut un outil pédagogique de synthèse, un aide-mémoire, un résumé qui peut être utile aux étudiants du baccalauréat en droit, aux étudiants de l’École du Barreau, aux étudiants en techniques policières, en criminologie, en sociologie et en politique, mais aussi au public en général, à des fins éducatives et informatives.
Rédigée en langage simple, cette série peut également servir de point de départ pour les professionnels internationaux du droit qui veulent se familiariser rapidement avec le droit criminel et pénal canadien.
La notion de “crime” en droit canadien. Qu’est-ce que c’est?
En droit canadien, le terme “crime” est souvent utilisé comme synonyme de l’infraction criminelle et réfère aux gestes interdits par le Code criminel, la Loi règlementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et autres lois fédérales adoptées par le Parlement du Canada qui criminalisent un comportement.
Il s’agit d’un terme qui a une connotation sensiblement différente de celui qui est employé aillleurs, comme en France.
En France, la notion de “crime” inclut les infractions les plus graves (ex : meurtre), alors que la notion de “délit” inclut les infractions de moindre gravité (ex : la conduite en état d’ivresse ou le vol sans violence).
Au Canada, le terme crime inclut autant les infractions les plus graves (ex: meurtre, agression sexuelle, fraude, etc.) que celles moins graves (ex: la conduite avec les facultés affaiblies, le vol simple, etc.).
Selon la gravité des infractions criminelles prévues au Code criminel canadien, il est possible de les classifier en 3 catégories :
les infractions sommaires - les crimes les moins graves, qui se trouvent au bas de l’échelle - on parle alors d’une poursuite par procédure sommaire.
les infractions hybrides - le procureur peut choisir la catégorie de l’infraction sous laquelle il intentera des accusations (par procédure sommaire ou par mise en accusation).
les actes criminels - les crimes les plus graves - on parle alors d’une poursuite par voie de mise en accusation.
Quelle est la différence entre le “droit criminel” et le “droit pénal” au Canada?
Le droit criminel canadien est une branche du droit punitif qui vise à punir les gestes considérés comme étant de la plus haute gravité et qui vont, selon le legislateur (soit le parlement, qui est composé de politiciens élus), à l'encontre des valeurs fondamentales de la société, le Code criminel étant une liste de grands interdits sociaux (ex : enlever la vie d’autrui, voler la propriété d’autrui, etc.).
Le droit pénal, étant plus large, inclut aussi les comportements considérés moins graves (mal stationner son automobile, traverser la rue en dehors d'un passage piéton, etc.), qui sont sanctionnés par d’autres lois que le Code criminel (ex : Code de la sécurité routière, la Loi sur la qualité de l'environnement ou la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune).
Le droit criminel est un domaine de compétence fédérale et seul le Parlement du Canada peut adopter des lois qui criminalisent des comportements (article 91(27) Loi constitutionnelle de 1867). C’est le Parlement fédéral qui détermine ce que constitue un crime. En d’autres mots, le droit criminel est largement influencé par l’idéologie du parti politique au pouvoir, qui contrôle le Parlement.
Les provinces et les territoires du Canada (le Québec, l’Ontario, l’Alberta, etc.) peuvent créer leurs propres infractions provinciales et territoriales qui relèvent du droit pénal, mais pas du droit criminel. Les provinces ont le pouvoir d’administrer la justice criminelle et les tribunaux criminels (article 92(14) Loi constitutionnelle de 1867) et d’assortir les lois de pénalités pour en assurer le respect (article 92(15) Loi constitutionnelle de 1867).
Qui intente des poursuites criminelles?
“Au nom du Roi ou de la Reine d’Angleterre” (selon le monarque en place), le Directeur des poursuites criminelles et pénales et ses procureurs sont les seuls qui intentent (ou non, c’est eux qui choisissent) les poursuites criminelles et pénales au Québec contre une personne physique ou morale.
Le directeur du Directeur des poursuites criminelles et pénales est nommé politiquement, par vote politique des 2/3 des politiciens membres de l’Assemblée nationale du Québec (le parlement provincial). Ce vote porte sur le choix fait par le Ministre de la justice.
En conséquence, une victime peut porter plainte à la police et apporter des preuves à l’appui, mais si 1) la police choisit de ne pas enquêter, 2) si la police enquête mais choisit de ne pas soumettre le dossier d’enquête aux procureurs ou 3) si les procureurs du DPCP choisissent de ne pas porter des accusations (les motifs peuvent varier : “absence d’opportunité” de poursuivre selon eux, “pas convaincus” qu’ils peuvent obtenir une condamnation, etc.; voir les directives que le DPCP se donne), il n’y aura pas de procès criminel contre la personne dénoncée.
La victime peut procéder par plainte privée (poursuite privée), mais le système de justice et ses acteurs, y compris les juges et le DPCP peuvent être réfractaires et même récalcitrants à collaborer avec la victime dans le cadre d’un tel scénario.
Quelles sont les sources du droit criminel canadien?
le droit anglais;
la Loi constitutionnelle de 1867;
le Code criminel canadien;
les autres lois fédérales adoptées par le Parlement du Canada;
les précédents jurisprudentiels.
Le droit criminel encadré par le “principe de légalité”
(article 11 g) Charte canadienne et 9 Code criminel)
Le “pouvoir de punir de l’État” est encadré de manière à ne pas permettre de punir une personne sans qu’un texte de loi ne le permette, et ce, seulement dans les limites de ce texte.
Une loi publique doit donc prévoir autant le crime que la peine, et doit être claire et précise.
La loi qui criminalise un comportement ne peut être rétroactive (sauf exceptions, si les articles 1 et 33 de la Charte canadienne s’appliquent).
La présomption d’innocence et le fardeau de la poursuite
Au Canada, l’accusé est présumé innocent (article 11d) Charte canadienne) jusqu’à ce que la poursuite prouve sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. La présomption d’innocence implique deux fardeaux pour la poursuite :
Le fardeau de présentation : le fardeau est rempli si la poursuite présente de la preuve sur chacun des éléments essentiels du crime. C’est une question de savoir si la preuve existe et si la poursuite est en mesure de la présenter au tribunal, pas de savoir si cette preuve convainc le juge hors de tout doute raisonnable.
Le fardeau de persuasion : le fardeau est rempli si, en considérant l’ensemble de la preuve, le juge des faits (rôle joué par un juge ou par le jury, selon le cas) est convaincu hors de tout doute raisonnable que tous les éléments essentiels du crime ont été prouvés par la poursuite.
Le doute raisonnable constitue un doute sérieux, fondé sur la preuve.
Selon la Cour suprême du Canada dans R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, par.27 : "Premièrement, il faut indiquer clairement au jury que la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable a une importance vitale puisqu’elle est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès pénaux: la présomption d’innocence. Ces deux concepts sont pour toujours intimement liés l’un à l’autre, comme Roméo et Juliette ou Oberon et Titania, et ils doivent être présentés comme formant un tout. Si la présomption d’innocence est le fil d’or de la justice pénale, alors la preuve hors de tout doute raisonnable en est le fil d’argent, et ces deux fils sont pour toujours entrelacés pour former la trame du droit pénal. Il faut rappeler aux jurés que le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis le crime incombe à la poursuite tout au long du procès, et qu’il ne se déplace jamais sur les épaules de l’accusé."
Le DPCP fournit au public un résumé visuel en 4 photos :
Quelles sont les composantes d’une infraction?
Une infraction est composée de deux éléments : l’élément matériel ou geste prohibé (l’actus reus) et l’élément mental ou intention (la mens rea).
Pour obtenir une déclaration de culpabilité, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chaque élément essentiel de chaque infraction reprochée à l’accusé.
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La suite de la série Décoder le droit criminel et pénal canadien abordera L’ACTUS REUS DE L’INFRACTION : https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/actus-reus