Décoder le droit criminel et pénal canadien 3 : MENS REA DE L’INFRACTION
Claudiu Popa
Qu’est-ce que la mens rea?
La mens rea, autrement appelée « l’élément blâmable du geste » ou « l’élément mental », constitue la deuxième composante d’une infraction criminelle.
C’est l’intention de la personne à commettre l’infraction.
Chaque infraction criminelle prévue dans le Code criminel requiert une mens rea qui lui est propre.
L’intention de l’accusé ne doit pas être confondue avec son mobile (qui est la raison derrière l’intention de poser le geste extériorisé, volontaire et prohibé).
Exemple : Un cycliste a fait un doigt d’honneur à un chaffeur. En retour, le chauffeur percute le cycliste (actus reus), le chaffeur veut percuter le cycliste (mens rea) pour se venger (mobile). Ici, l’intention du chauffeur est la volonté de percuter le cycliste, alors que son mobile est la vengeance.
La preuve du mobile ne fait pas partie de la mens rea et n’est pas requise pour condamner l’accusé, mais peut constituer une preuve additionnelle qui permet de démontrer l’intention de l’accusé.
Le mobile impacte également la peine imposée à l’accusé.
La mens rea peut être subjective ou objective.
Comment identifier le type de mens rea requise par une infraction?
elle est mentionnée dans le texte de l’article;
sinon,
elle est précisée par la jurisprudence;
sinon,
on présume qu’il s’agit d’une mens rea subjective (R. c. A.D.H.)
Commençons par la mens rea subjective.
1. La mens rea subjective
Il s’agit de l’état d’esprit réel de l’accusé, de ce que se passait dans sa tête au moment où il a posé le geste prohibé.
Tout comme l’actus reus, la mens rea doit, elle aussi, être prouvée hors de tout doute raisonnable par la poursuite. À défaut, l’accusé sera acquitté.
En principe, les 4 formes de mens rea subjective les plus souvent requises par les infractions criminelles sont : l’intention pure, la connaissance, l’insouciance et l’ignorance volontaire (aveuglement volontaire). Une 5e forme de mens rea subjective, plus rarement requise, est la prévisibilité subjective des conséquences.
1.1. L’intention pure
Il s’agit de l’intention de commettre l’actus reus, l’intention de poser le geste prohibé.
Critères qui s’appliquent
La personne veut accomplir le geste;
La personne veut produire la conséquence de son geste;
La personne sait qu’en posant son geste, cette conséquence va certainement se produire;
1.2. La connaissance
Il s’agit d’une forme de mens rea qui s’applique aux infractions qui comportent des circonstances particulières.
Le texte de ces infractions requière que l’accusé ait eu connaissance de l’existence des circonstances, sinon il est moralement innocent face à des accusations qui requièrent ce niveau de mens rea de connaissance.
Par exemple, l’infraction de recel exige de démontrer la connaissance de l’accusé quant au fait que les biens qui se trouvent en sa possession étaient des biens volés. À défaut, la personne ne pourra pas être déclarée coupable.
On se pose la question : Est-ce que l’accusé, dans sa tête, connaissait ou non les circonstances? Si la réponse est non, il doit être acquitté.
Une personne ne peut pas être déclarée coupable d’avoir cru à quelque chose qui n’était pas vrai. Il faut que la connaissance corresponde à la réalité.
1.3. L’insouciance
Alors que l’intention constitue le désir de produire une conséquence, l’insouciance constitue l’indifférence avec laquelle l’accusé agit par rapport à une conséquence qui présente une forte probabilité de se produire.
L’accusé est conscient des risques, mais persiste dans sa conduite :
Exemple : l’accusé n’a pas le désir de tuer une personne, mais il est indifférent si son geste entraîne la mort de cette personne.
Le risque que le geste d’un accusé entraîne cette conséquence doit être envisageable, substantiel et injustifié.
Critères qui s’appliquent
poser un geste qui présente une probabilité de produire une conséquence;
être indifférent face au risque que la conséquence se produise;
persister dans son geste, malgré le risque.
L’insouciance peut porter
sur les conséquences d’un geste
Exemples : la mort, des lésions, etc.
OU
sur les circonstances
Exemples : l’âge de la victime, la capacité mentale de la victime, la formation de la victime, etc.
1.4. L’ignorance volontaire ou l’aveuglement volontaire
L’accusé a de sérieux doutes sur un fait, mais refuse ou omet de poser davantage de questions afin de ne pas confirmer ses soupçons.
Il y a donc deux conditions qui doivent être réunies :
avoir des doutes sur l’activité en question
et
refuser de poser des questions pour éviter de confirmer ses doutes.
Il s’agit de la forme de mens rea la plus facile.
Comment en faire la preuve? La poursuite doit établir que
l’accusé a eu des doutes sur l’existence des circonstances visées par l’infraction
et
qu’il a évité ou refusé de se renseigner pour éviter que ses doutes soient confirmés.
L’aveuglement volontaire constitue un substitut pour la connaissance : lorsque la connaissance est requise par une infraction, la poursuite peut établir que l’accusé a fait preuve d’aveuglement volontaire si elle n’est pas en mesure de prouver la connaissance.
2. La mens rea objective
La mens rea objective a deux formes : la négligence pénale et la prévisibilité des conséquences.
La mens rea objective est moins exigeante que la mens rea subjective.
On n’est plus dans la tête de l’accusé pour évaluer son intention criminelle, mais il s’agit d’une norme “élementaire de comportement social”, se fondant sur ce “qu’une personne raisonnable aurait fait dans les mêmes circonstances”.
La poursuite doit démontrer que l’accusé a été négligeant au sens criminel du terme. L’accusé n’a pas à avoir perçu le risque, il est coupable même s’il n’a rien anticipé et qu’il pensait subjectivement agir raisonnablement.
2.1. La négligence pénale
On se pose la question :
Est-ce qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait agi comme l’accusé?
L’accusé doit avoir agi d’une façon qui se démarque de façon accentuée (un écart marqué) de la conduite d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. En matière civile, on parle d’un écart simple. En droit criminel, la conduite doit être nettement déraisonnable.
La personne raisonnable est la personne moyenne, placée dans les mêmes circonstances que l’accusé.
Le cas de la négligence criminelle prévue à l’article 219 Code criminel, « l’insouciance déréglée ou téméraire ».
Réfère à un comportement qui montre un manque de précaution, de prudence ou de considération pour les conséquences, souvent à un point tel qu'il crée un danger pour la vie ou la sécurité d'autrui;
Essentiellement, la mens rea requise en matière de négligence criminelle est appréciée selon la preuve d’un écart marqué et important. La poursuite doit démontrer hors de tout doute raisonnable soit l’insouciance soit l’indifférence de la part de l’accusé.
2.2. La prévisibilité objective des conséquences
On se pose la question : Une personne raisonnable aurait-elle su que le résultat prohibé était probable? Dans l’affirmative, le résultat était objectivement prévisible.
Cette forme de mens rea objective se rattache à des infractions qui requièrent une conséquence (infractions de résultat avec infraction sous-jacente - ou moindre et incluse - infraction qui est comprise dans l’infraction principale : comme l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles qui comporte l’infraction de voies de fait simples).
Note :
La mens rea objective n’est pas suffisante pour faire la preuve d’une mens rea subjective, contrairement à la mens rea subjective qui est suffisante pour faire la preuve de la mens rea objective;
La mens rea doit exister au même moment que l’actus reus, les deux doivent coïncider à un moment donné. Il s’agit de la concomitance de l’actus reus et de la mens rea (concomitance du lien temporel entre les deux).
La suite de la série Décoder le droit criminel et pénal canadien abordera LES PARTICIPANTS À L’INFRACTION : https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/participants-a-l-infraction
TABLE DES MATIÈRES DE LA SÉRIE :
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