Décoder le droit criminel et pénal canadien 10 : LES MOYENS DE DÉFENSE NORMATIFS

Claudiu Popa

Les moyens de défense normatifs

L’objectif des moyens de défense normatifs est celui de ne pas punir une personne qui n’avait pas le choix d’agir d’une autre façon : en l’absence d’alternatives, le geste devient « involontaire » d’un point de vue normatif ou moral.

L’actus reus et la mens rea sont présents, mais l’action de l’accusé est excusée ou justifiée dans les circonstances.

Ces moyens de défense ne s’appliquent pas si le choix est moralement mauvais et s’il est fait librement (R. c. Ruzic).

Il y a deux catégories de moyens de défense normatifs : les justifications et les excuses, qui peuvent être invoqués à l’encontre des trois catégories d’infractions.  

Les justifications

Le geste posé illégalement par l’accusé est justifié. Théoriquement, la personne est coupable du point de vue descriptif, mais pas d’un point de vue normatif en raison de sa cause de justification. L’accusé sera ainsi acquitté.

  • Exemple :  agir en légitime défense pour se protéger.

 

Les excuses

On excuse le geste posé illégalement, sans que ce geste devienne légal. Cela empêche de punir l’accusé pour le geste posé.

 

La légitime défense (justification)

Ce moyen de défense permet à une personne de repousser des attaques.

Elle permet de justifier l’usage de la force en cas d’attaque, afin de protéger sa propre sécurité ou celle d’autrui.

  • Exemple : frapper quelqu’un qui tente de vous frapper ou frapper quelqu’un qui tente de voler votre sac à dos.

Il y a deux catégories de légitime défense reconnues en droit canadien : la légitime défense des personnes et la légitime défense des biens (articles 34 et 35 Code criminel).

 

Fardeau

  • L’accusé a le fardeau de présentation pour prouver la vraisemblance du moyen de défense.

  • La poursuite doit ensuite repousser la défense hors de tout doute raisonnable.

 

La légitime défense des personnes

Le catalyseur

critère objectif et subjectif nécessaire

  • On regarde les caractéristiques personnelles et les circonstances

  • Article 34(1)a) C.cr. : l’accusé croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;

Le mobile

analyse subjective

  • On se demande si le geste posé était pour se protéger ou s’il y avait une autre raison sous-jacente qui motivait le geste

    • Exemple : si la personne agit en colère ou dans un but de se venger, il ne s’agit pas d’une légitime défense

  • Article 34(1)b) C.cr. : commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;

La raisonnabilité du geste

  • On analyse la manière dont la personne a agi : la réaction et la façon de procéder au geste, pas seulement le résultat de son geste

  • Article 34(1)c) Code criminel : agit de façon raisonnable dans les circonstances

  • Le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, dont notamment ceux prévus à l’article 34(2) Code criminel :

    a) la nature de la force ou de la menace;

    b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existenced’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;

    c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;

    d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;

    e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;

    f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;

    f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;

    g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;

    h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

 

La légitime défense des biens

Pour invoquer ce moyen de défense, l’accusé doit (croire pour des motifs raisonnables) être en possession d’un bien de façon paisible. La possession doit être claire, sans qu’une autre personne ait un droit là-dessus (article 35(1)a) Code criminel) :

Article 35 (1) C.cr. : N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois : a) croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien ou agit sous l’autorité d’une personne — ou prête légalement main-forte à une personne — dont elle croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien;

Le catalyseur

critère objectif et subjectif nécessaire

  • On regarde les caractéristiques personnelles et les circonstances

  • Article 35(1)b) C.cr. : l’accusé b) croit, pour des motifs raisonnables, qu’une autre personne, selon le cas : (i) sans en avoir légalement le droit, est sur le point ou est en train d’entrer dans ou sur ce bien ou y est entrée, (ii) est sur le point, est en train ou vient de le prendre, (iii) est sur le point ou est en train de l’endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant;

Le mobile

analyse subjective

  • Article 35(1)c) C.cr. : c) commet l’acte constituant l’infraction dans le but, selon le cas : (i) soit d’empêcher l’autre personne d’entrer dans ou sur le bien, soit de l’en expulser, (ii) soit d’empêcher l’autre personne de l’enlever, de l’endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant, soit de le reprendre;

La raisonnabilité du geste

  • On analyse la manière dont la personne a agi : la réaction et la façon de procéder au geste, pas seulement le résultat de son geste.

  • Une personne peut chercher à expulser une autre personne de sa propriété si sa présence est non désirée.

  • On peut se servir des facteurs énumérés à l’article 34(2) Code criminel

  • Article 35(1)d) Code criminel : agit de façon raisonnable dans les circonstances

La nécessité (excuse)

La nécessité est un moyen de défense de common law, qui n’est pas codifié, mais qui peut être soulevé par le biais de l’article 8(3) Code criminel.

Fondement

Le comportement s’excuse en raison d’une situation d’urgence - le geste est involontaire au niveau normatif ou moral.

Ce moyen de défense ne s’applique pas si l’accusé s’est mis dans une situation d’urgence (R. c. Perka).

3 critères cumulatifs

  • Imminence : situation d’urgence ou de danger imminent pour soi ou pour une tierce personne

    • Cet élément est apprécié selon une norme subjective : l’accusé pense que la situation est urgente

  • Absence d’autres solutions légales : il n’y a pas d’autres situations légales raisonnables

    • Cet élément est apprécié selon une norme subjective : l’accusé pense qu’il n’y a pas d’autres solutions légales

  • Proportionnalité : le mal infligé par l’accusé doit être comparable ou nettement plus petit que le mal évité

    • Cet élément est apprécié selon une norme objective

 

Ces critères sont évalués selon une norme subjective (la perception de l’accusé) et selon une norme objective modifiée (la perception de la personne raisonnable placée dans la situation de l’accusé).

Fardeau de la preuve : l’accusé a le fardeau de présentation, que la poursuite devra ensuite nier hors de tout doute raisonnable. 

L’accusé sera acquitté s’il y a un doute raisonnable sur tous les critères.

 

La contrainte (excuse)

Le moyen de défense de contrainte peut être soulevé lorsqu’un tiers force l’accusé à commettre l’infraction.

Il y a deux types de contraintes : la contrainte par menaces (article 17 Code criminel) et la contrainte de common law.

La contrainte par menaces

La contrainte par menaces prévue à l’article 17 du Code criminel s’applique uniquement à l’auteur réel de l’infraction et doit rencontrer 7 critères :

  • Menace de causer la mort/ lésions corporelles visant la personne ou une tierce personne (implicites ou explicites)

  • L’accusé doit croire pour des motifs raisonnables que la menace soit mise en exécution

  • La menace ne doit pas figurer dans l’article 17 Code criminel

    • C’est ce critère qui ne s’applique pas à la contrainte de common law

  • L’accusé ne participe pas à un complot ou une organisation le soumettant à la contrainte

    • Exemple : être un membre du crime organisé et agir sous leur contrainte

  • Aucun moyen de s’en sortir sans danger (R. c. Ruzic)

  • Lien temporel étroit (un futur proche) (R. c. Ruzic)

  • Proportionnalité entre la menace et le crime envisagé (R. c. Ruzic)

 

La contrainte de common law ou duress

La contrainte de common law n’est pas codifiée, mais peut être soulevée par le biais de l’article 8(3) Code criminel, et s’applique aux participants autres que l’auteur réel (articles 21 et 22 Code criminel)

  • On applique 6 des 7 critères prévues par la contrainte par menaces

  • On n’applique pas le critère visant l’exclusion d’infractions prévue à l’article 17 Code criminel

La suite de la série Décoder le droit criminel et pénal canadien abordera LES MOYENS DE DÉFENSE FONDÉS SUR L’ABUS DE L’ÉTAT : https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense-fondes-sur-l-abus-de-l-etat

TABLE DES MATIÈRES DE LA SÉRIE :

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/introduction

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/actus-reus

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/mens-rea

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/participants-a-l-infraction

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense-niant-la-capacite-penale

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense-niant-l-actus-reus

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  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense-normatifs

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense-fondes-sur-l-abus-de-l-etat

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/classification-des-infractions

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/vraisemblance

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/determination-de-la-peine

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