Décoder le droit criminel et pénal canadien 8 : LES MOYENS DE DÉFENSE NIANT LA MENS REA

Claudiu Popa

Les moyens de défense qui nient la mens rea

Les moyens de défense qui nient la mens rea visent à nier l’intention de poser le geste prohibé.

Ce moyen de défense s’applique en cas d’intoxication, d’erreur de fait, d’erreur de droit et de plaisanterie.

 

L’intoxication

L’intoxication peut s’apparenter à la défense d’automatisme en cas d’intoxication extrême (arrêt Brown).

L’intoxication extrême peut être utilisée comme moyen de défense qui nie l’actus reus mais aussi comme moyen de défense qui nie la mens rea.

L’intoxication peut être volontaire ou involontaire.

L’intoxication involontaire peut nier l’actus reus et/ou la mens rea de l’infraction.

Le cas de la défense d’intoxication volontaire est plus complexe puisqu’elle n’est pas admissible en tout temps, mais dépend en fonction de la cause de l’intoxication, du degré d’intoxication et du type de mens rea requise par l’infraction reprochée.

 

Étape 1 : déterminer la cause de l’intoxication

On se demande d’abord si l’intoxication est volontaire ou involontaire.

L’intoxication est volontaire si l’accusé a consommé une substance dont il connaissait généralement les effets intoxicants.

  • Exemple : consommer volontairement quatre bières dans un bar

L’intoxication est involontaire si :

  • L’accusé a consommé la substance intoxicante sans le savoir

    • Exemple : consommer une boisson qui était contaminée par une drogue, à l’insu de l’accusé. La consommation de drogue est involontaire.

    OU

  • L’accusé a consommé la substance de son propre gré mais ne savait pas quels étaient les effets intoxicants de la substance

    • Exemple : prendre une substance qui réagit à sa médication sans être au courant de cette contre-indication

Étape 2 : déterminer le degré d’intoxication

Il y a trois degrés d’intoxication : l’intoxication légère (ou modérée), l’intoxication avancée et l’intoxication extrême.

L’intoxication légère ou modérée ne constitue pas un moyen de défense et n’a pas non plus d’incidence sur la mens rea. L’accusé est en état d’intoxication légère ou modérée lorsqu’il y a perte d’inhibition.

  • Exemple : parler plus fort, changement d’humeur, avoir les joues rouges, etc.

L’intoxication avancée peut constituer un moyen de défense dans le cas des infractions qui requièrent une mens rea spécifique, mais pas pour les infractions de mens rea objective.

  • L’accusé est en état d’intoxication avancée lorsqu’il subit par exemple de la confusion mentale, perte d’équilibre, difficulté d’élocution, difficulté de compréhension, difficulté à accomplir des tâches simples, etc.

L’intoxication extrême (ou l’intoxication volontaire avec automatisme) permet de repousser l’actus reus dans le cas des infractions qui requièrent une mens rea objective.

Étape 3 : déterminer le type de mens rea requise par l’infraction reprochée

Pour déterminer si le moyen de défense d’intoxication est admissible compte tenu du degré d’intoxication et de la cause d’intoxication, on doit déterminer si l’infraction reprochée en est une d’intention spécifique ou d’intention générale.

Pour les infractions d’intention générale, l’accusé doit vouloir poser son geste / omettre de poser son geste. Cela requiert un processus de pensée minimal.

  • La défense d’intoxication légère ou modérée est inadmissible

  • La défense d’intoxication avancée est inadmissible (par exemple pour les infractions de négligence)

  • La défense d’intoxication extrême est admissible

Pour les infractions d’intention spécifique, l’accusé doit vouloir poser son geste / omettre de poser son geste dans le but d’atteindre une certaine situation qui résulte de son geste. L’accusé souhaite la conséquence qui découle de son geste.

  • La défense d’intoxication légère ou modérée est inadmissible

  • La défense d’intoxication avancée est admissible, mais l’accusé doit soulever un doute raisonnable sur l’intention spécifique

  • La défense d’intoxication extrême est admissible

Indices pour déterminer le type de mens rea requise par l’infraction reprochée

  • La nature et l’importance relative de l’élément moral : plus la réflexion est complexe, plus le crime tend vers l’intention spécifique

  • La politique sociale : on questionne le but recherché du législateur – Qu’est-ce que le législateur a voulu criminaliser?

 

L’intoxication peut servir comme élément de preuve autant pour la poursuite (pour prouver l’élément essentiel d’une infraction ou encore démontrer l’écart entre le comportement de l’accusé et celui d’une personne raisonnable) que pour l’accusé (pour attaquer l’actus reus ou la mens rea de l’infraction reprochée).

 

L’erreur de fait

L’erreur de fait réfère à la croyance sincère, mais erronée, en un état de fait qui aurait rendu le geste légal. 

L’erreur de fait peut porter sur les conséquences ou sur les circonstances de l’infraction.

En fonction de l’infraction reprochée, l’erreur doit être :

  • sincère (critère subjectif pour les infractions de mens rea subjective ou pour certains moyens de défense)

    ou

  • sincère et raisonnable (critères subjectif et objectif pour les infractions de mens rea objective, les infractions de 2e catégorie ou pour certains moyens de défense)

L’accusé sera acquitté si le juge retient la défense d’erreur de fait.

Si la poursuite prouve l’aveuglement volontaire de l’accusé, celui-ci ne peut pas invoquer la défense d’erreur de fait (puisqu’il s’est lui-même aveuglé volontairement à ces faits).

L’erreur de fait ne constitue pas une défense qui peut être soulevée pour les infractions de responsabilité absolue (3e catégorie).

 

L’erreur de droit

(article 19 Code criminel)

En principe, la défense d’erreur de droit n’est pas admissible en droit criminel. L’accusé ne peut invoquer la méconnaissance de la règle de droit pour se défendre puisqu’il est réputé connaître la loi (“null n’est censé ignorer la loi”).

  • La diligence de l’accusé dans ses efforts de connaître et comprendre la règle de droit ne constitue pas non plus une défense. Cette diligence peut toutefois constituer un facteur atténuant dans la détermination de la peine (article 718.1 Code criminel et arrêt Suter).

Exceptions

  • S’il s’agit d’une erreur de droit civil, comme une mauvaise interprétation d’une disposition du Code civil.

  • Si l’infraction requiert une mens rea de connaissance de l’illégalité du geste posé.

  • Si l’accusé a été induit en erreur sur l’application d’une règle de droit par une personne en autorité (il peut demander l’arrêt des procédures).

 

La plaisanterie

La plaisanterie peut être admissible pour des infractions d’intention spécifique.

La suite de la série Décoder le droit criminel et pénal canadien abordera LES MOYENS DE DÉFENSE NIANT LA PARTICIPATION : https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense-niant-la-participation

TABLE DES MATIÈRES DE LA SÉRIE :

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  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/actus-reus

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/mens-rea

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/participants-a-l-infraction

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense

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  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense-niant-l-actus-reus

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  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense-normatifs

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/moyens-de-defense-fondes-sur-l-abus-de-l-etat

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/classification-des-infractions

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/vraisemblance

  • https://www.claudiu-popa.com/decoder-le-droit-criminel-et-penal-canadien/determination-de-la-peine

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